Et oui, elle ne fait pas son âge, elle qui surfe sur le web depuis 1996. Retour sur la naissance d’un titre phare du marché de l’art , et son histoire…
C’est un mardi 24 février 1891 que paraît le premier numéro titré La Gazette de l’hôtel Drouot. Sur sa couverture, reproduite aujourd’hui au dos du journal, figure le numéro « 14 », pas le « 1 ». Une erreur ? Que nenni ! Le « Journal spécial quotidien des ventes publiques » a en effet commencé à paraître à la date des dimanche 8 et lundi 9 février 1891, sous le nom de L’Hôtel Drouot. La justification de ce changement est clairement énoncée : « Ce titre de l’Hôtel Drouot est devenu par un long usage la propriété de l’Établissement appartenant à MM. les commissaires-priseurs de Paris […] Nous avons reconnu aussi bien vite qu’on pourrait confondre, par exemple l’Administration de l’Hôtel Drouot journal avec celui du véritable Hôtel Drouot, et nous n’avons pas voulu que cette confusion pût se produire. » Le nom du propriétaire, et donc fondateur de ce nouveau quotidien, n’apparaît bizarrement pas sur la publication. La seule mention est celle de son directeur, Charles Oudart, un commissaire-priseur qui restera à sa tête jusqu’en 1900. Cette omission explique que la BnF lui crédite la fondation du titre. Alors, qui est le véritable créateur de La Gazette ? Le numéro du centenaire, paru le 22 février 1991, ainsi qu’une exposition organisée à cette occasion à la mairie du 9e arrondissement donnent la réponse : Pierre Auguste Fernand Fau.
Petite sœur du Moniteur des ventes
Fau est principalement connu comme illustrateur et caricaturiste, ayant notamment travaillé pour Le Rire et Le Chat noir. Mais il est également le gérant et propriétaire du Moniteur des ventes depuis 1869, date à laquelle décède son père, fondateur en 1831 du Gratis, devenu par la suite Le Moniteur des ventes. Et si son nom est imprimé en dernière page de ce périodique, jamais il n’est cité dans La Gazette. Par ailleurs, dans ses premiers numéros, celle-ci emprunte très manifestement sa mise en pages au Moniteur des ventes. Les deux titres sont toujours liés de nos jours puisqu’ils forment Auctionspress, l’une des filiales de Drouot Patrimoine. Mais déjà à l’époque, chacun avait sa chasse gardée, les ventes judiciaires menées par les commissaires-priseurs et les huissiers pour Le Moniteur, les ventes volontaires pour La Gazette. La publicité était, rappelons-le, une obligation légale pour la tenue des ventes aux enchères publiques.
Et en 1891, La Gazette n’est pas une création originale. Elle vient concurrencer Le Journal des arts créé en 1879 par Auguste Dalligny, lequel proteste d’ailleurs avec véhémence dans son numéro du 24 février 1891 : « Nous rappelons à ceux de nos confrères qui croient pouvoir nous prendre notre Bulletin des expositions et des ventes à l’hôtel Drouot, que ce bulletin est l’œuvre personnelle du Journal des arts et que nous entendons en garder la propriété exclusive. » Ce titre ne survivra que de peu au décès de son fondateur, survenu en 1919. Qu’apporte La Gazette par rapport à son principal concurrent ? Tout d’abord son prix : elle est bon marché, ce qui est explicitement souligné dans le programme exposé dans le premier numéro (voir page 14). D’autre part, elle se veut le plus exhaustive possible, étant appelée « à rendre de véritables services à tous ceux qui veulent être au courant jour par jour et pour ainsi dire heure par heure, des marchandises, des objets d’art, livres, tableaux et estampes, qui sont disséminés sans cesse sous le marteau des officiers ministériels que la loi a préposés à ce sujet. »
De France et de Navarre…
Si son titre semble la restreindre au seul hôtel Drouot, elle va dès ses premiers numéros affirmer un champ géographique beaucoup plus large, englobant les régions, voire l’étranger. De même, dès l’origine, les ventes aux enchères – annonces et résultats – ne constituent pas les seuls sujets traités, La Gazette étant aussi un journal d’information contenant des chroniques visant à élargir les connaissances artistiques de son lectorat. Et pas seulement : selon les époques, on va trouver des rubriques des plus variées comme « Échos et nouvelles », « Théâtres », « Sport », « Programme des spectacles », « Petites annonces » ou le « Bulletin financier ». Le fameux « Programme » du premier numéro n’énonçait-il pas : « Et, comme en toutes choses, il faut considérer “ la plus belle moitié du genre humain ”, nous réservons à notre public féminin un courrier théâtral et quelques nouvelles, que les dames pourront lire pendant que leurs maris assisteront aux pacifiques et lucratives batailles de l’Hôtel Drouot» ? On notera que la place des femmes dans les ventes aux enchères va évoluer, puisqu’elles vont aussi bien se saisir du marteau que participer activement « aux pacifiques et lucratives batailles » ! Charles Oudart va diriger La Gazette jusqu’en 1900, pour ensuite se consacrer à son activité d’officier ministériel. Son nom apparaît ainsi en 1921 dans le cadre de la fameuse affaire Landru, puisqu’il disperse le mobilier du bourreau de ses dames, obtenant 1 614 francs d’« un vrai ramassis, qui, en d’autres circonstances, eût à peine valu trois cent francs » selon La Gazette de l’époque. Oudart, alors qu’il dirigeait le titre, prenait aussi la plume pour écrire des articles, comme le fit son successeur, Alexandre Frappart. Celui-ci affiche un record de longévité, étant entré à La Gazette en 1892 pour en repartir en 1954 ! Jusqu’en 1896, l'édition du journal est quotidienne. Ensuite, il paraît trois fois par semaine : les mardis, jeudis et samedis. Autre nouveauté de l’année 1896 : l’apparition d’une gravure en première page, accompagnée d’un court article l’explicitant. Elle n’est alors que rarement liée à une vente. La Gazette comportait déjà des illustrations, mais uniquement dans les pages intérieures, notamment pour la chronique « La science des armoiries». C’est à l’orée de la Seconde Guerre mondiale que la publication devient hebdomadaire. Le nombre de pages va varier de deux feuillets à une dizaine, voire un peu plus.
1968, année charnière
Mais il faut attendre les années 1960 pour que La Gazette prenne la forme qu’on lui connaît, avec une pagination pouvant monter jusqu’à 400 pages par numéro, le tout richement illustré. En 1968, la rédaction annonce un « nouveau visage ». Le titre vient en effet d’être acheté par la Compagnie parisienne des commissaires-priseurs. À sa tête arrive Jacques Boussac, charismatique directeur général du titre, puis président-directeur général. Il prend sa retraite en 1998, mais restera à la présidence jusqu’en 2002, date à laquelle La Gazette se pare entièrement de couleurs. Auparavant, il avait été journaliste et rédacteur en chef de la revue culturelle Arts. À son arrivée, il s’entoure de Gérald Schurr, Françoise de Perthuis, Christiane Hilaire et un peu plus tard, Didier Romand, donnant un nouvel élan à la publication. Elle va s’étoffer en s’ouvrant largement aux ventes en régions, en augmentant le nombre d’articles et en développant sa diffusion auprès d’une public plus large. Le 10 septembre 1971, dans un encadré intitulé « Une nouvelle Gazette », après avoir énoncé un changement formel majeur – celle-ci sera désormais agrafée – et énuméré toutes les rubriques, l’équipe conclut que « la Gazette est maintenant devenue une véritable revue. » Les décennies suivantes verront celle-ci s’épaissir, nécessitant de larges reliures pour contenir, suivant les années, ses 44 ou 45 numéros. Elle devient en 2002 une filiale de Drouot Patrimoine, holding créée à l’occasion des transformations juridiques causées par la réforme du métier de commissaire-priseur de juillet 2000. Auparavant, elle aura su se digitaliser, en prenant le virage d’Internet dès 1996 (voir page de droite). Depuis 2005, elle est dirigée par Olivier Lange, qui l’a intégrée trois ans plus tôt, et qui en 2015 a initié la formule actuelle, avec un recentrement autour des ventes aux enchères, du marché de l’art et de l’actualité culturelle qui l'accompagne. 130 ans après sa création, son agenda des ventes reste son ADN, à retrouver dans ces pages ou sur le Web !
à savoir
Cet article est grandement redevable
au mémoire de 2e cycle de l’École
du Louvre de Clara Screve, 1968 :
un tournant dans l’histoire de La Gazette
de l’Hôtel Drouot, présenté en mai 2009
sous la direction d’Hélène Klein.
1995 Le Monde diplomatique est le premier site de presse français, suivi la même année par Libération et Le Monde 1996 Création du site internet de La Gazette, pionnière de son secteur sur le Web, la même année que celui du Figaro. L’Équipe attendra juin 2000 pour lancer le sien. Extrait de la publicité : « La Gazette sur Internet est un journal électronique “ en ligne ”, à consulter sur l’écran de votre ordinateur, via un modem. […] Ce nouveau service propose un autre regard sur les ventes publiques. […] Un tel mode de navigation, basé sur la logique hypertexte, permet ainsi d’optimiser les recherches transversales » | 2001 Mise en ligne des catalogues en mode lot par lot et création de la newsletter et du calendrier thématique 2002 Publication des listes de résultats des ventes 2007 Mise en ligne des catalogues en version e-book et activation de la fonction ordre d’achat 2009 La partie transactionnelle du site devient indépendante sous le nom de Drouot Digital, nouvelle filiale de Drouot Patrimoine | 2011 Création de La Gazette internationale mensuelle, en ligne en langue anglaise, accompagnée de sa newsletter 2019 Lancement de la version actuelle du site, qui reprend l’intégralité du rédactionnel de La Gazette ; l’agenda est désormais enrichi d’articleset La Gazette internationale devient la partie en langue anglaise 2020 Développement d’un éditorial propre de la partie en langue anglaise du site 2021 350 000 utilisateurs et 2,3 millions de pages vues chaque mois ; sur les réseaux sociaux, La Gazette est présente sur Facebook, Twitter, Instagram et Pinterest |