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Œuvres muséales à vendre

Publié le , par Agathe Albi-Gervy

Soixante antiquités du musée d’Art classique de Mougins, abritant la collection de Christian Levett, seront bientôt proposées à Drouot. Quand le rêve devient réalité…

Vue de la galerie égyptienne du musée d’Art classique de Mougins ; masque de sarcophage... Œuvres muséales à vendre
Vue de la galerie égyptienne du musée d’Art classique de Mougins ; masque de sarcophage Basse Époque, en bois stuqué polychrome (h. 46,4 cm).
Estimation : 8 000/10 000 €
© Musée d’Art Classique de Mougins (MACM) 2017

Des as de la finance qui investissent leur argent dans l’art, il en existe quelques-uns. Mais ni Leon Black, ni Kenneth Griffin, ni encore Steven Cohen n’ont mis leurs collections au service du public au sein d’un musée qui leur serait propre. Christian Levett a fait ce choix en 2008, cinq ans seulement après avoir endossé son costume de collectionneur. Certes, enfant déjà, il rassemble des médailles de la Seconde Guerre mondiale et des monnaies, achetées dans une boutique de sa rue à Essex, dans l’Angleterre qui le voit grandir. En 1997, jeune trader en poste à Paris, il visite le Louvre   et ne manque pas d’admirer aucune des pièces exposées. Six ans plus tard, à Londres  où il réside toujours , ses revenus explosent : il décide d’investir dans l’art, en se concentrant sur les manuscrits anciens et les monnaies romaines. Mais c’est dans un catalogue de vente aux enchères d’antiquités qu’il voit la possibilité d’exaucer un rêve, celui de posséder d’authentiques casques romains et des sarcophages égyptiens… En 2001, les héritiers du collectionneur Axel Guttmann vendent son extraordinaire ensemble d’armes anciennes, inondant le marché. Christian Levett profite de la chute des prix engendrée pour entreprendre ce qui est devenu la plus importante collection privée d’armures et de casques gréco-romains du monde. En 2008, il charge Marc Merrony, le rédacteur en chef de Minerva, revue anglaise spécialisée dans l’Antiquité qu’il a rachetée quelques années plus tôt, de réfléchir à un musée où exposer une partie de ces vestiges archéologiques. Pourquoi pas à Mougins, où il possède une maison et deux restaurants ?

 
Art romain, IIe-IIIe siècles. Statue du dieu Jupiter-Sérapis, marbre, h. 50 cm. Estimation : 52 000/60 000 €
Art romain, IIe-IIIe siècles. Statue du dieu Jupiter-Sérapis, marbre, h. 50 cm.
Estimation : 52 000/60 000 €
Art romain, Ier-IIe siècle. Statue de la déesse Hécate, marbre blanc, h. 69 cm. Estimation : 80 000/120 000 €
Art romain, Ier-IIe siècle. Statue de la déesse Hécate, marbre blanc, h. 69 cm.
Estimation : 80 000/120 000 €


Un bon investissement
Le musée d’Art classique de Mougins voit ainsi le jour en 2011. Et compte déjà un beau palmarès pour une institution si jeune : prix du magazine Apollo pour la meilleure inauguration muséale en 2011, Ken d’Or en 2012  ex-aequo avec le Louvre , il est le seul musée français nominé pour le prix du Meilleur musée européen de l’année 2013… Christian Levett s’est même vu attribuer un fellowship par l’Ashmolean Museum d’Oxford. Ce qui fait la force de ce projet, c’est le dialogue instauré entre les antiquités et les œuvres classiques, néoclassiques, modernes et contemporaines  de Rubens à Dalí et de Cézanne à Hirst, régulièrement acquises par l’homme d’affaires pour les confronter à leurs modèles antiques, iconographiques ou formels. Alors, un si bel équilibre ayant été atteint, pourquoi décider de se séparer d’une partie des collections ? Afin de renouveler et continuer d’enrichir ce musée privé, conservant par conséquent des œuvres non inaliénables. Pierre Bergé & Associés s’est vu confier cette mission en raison de la confiance que lui accorde de longue date Christian Levett, satisfait des acquisitions qu’il y avait effectuées. En premier lieu, un Mercure en bronze doré, que l’homme d’affaires a prêté en 2012 à la Royal Academy de Londres, pour la fameuse exposition «Bronze». Le 10 octobre prochain, certains objets repasseront donc sous le marteau de la maison parisienne, tel un vase cylindrique en bronze provenant de Marlik, orné de taureaux ailés et proposé autour de 7 000/9 000 €. Par ailleurs, Christian Levett a su pousser la porte des galeries spécialisées les plus rigoureuses, à l’image des Royal-Athena Galleries, institution new-yorkaise qui domine le secteur de longue date, où notre collectionneur a découvert, dans les années 2000, les futures vedettes de ses collections  comme le panneau de sarcophage romain aux amours, évalué entre 100 000 et 150 000 €, et une tête de Déméter hellénistique (62 000/70 000 €), pour ne citer qu’eux.

 

Art romain, IIIe-IVe siècle. Relief de sarcophage d’enfants aux amours vendangeurs et moissonneurs, marbre, h. 27 cm. Estimation : 100 000/150 000 €
Art romain, IIIe-IVe siècle. Relief de sarcophage d’enfants aux amours vendangeurs et moissonneurs, marbre, h. 27 cm.
Estimation : 100 000/150 000 €

L’antique, c’est chic
Pour la première fois, le musée de Mougins va se séparer d’objets exposés dans ses salles, et non dans les réserves comme cela a pu être le cas par le passé. Un sérieux gage de qualité ! La représentation des différentes cultures méditerranéennes est équilibrée, même si Rome jette son ombre sur l’ensemble, avec vingt-six pièces. À cette civilisation appartiennent les deux têtes d’affiche de la collection. D’une part, le relief en marbre déjà évoqué provenant d’un sarcophage daté du IIIe-IVe siècle ; long d’un mètre, il déroule une composition des plus charmantes, mettant en scène des amours s’adonnant aux vendanges et à la moisson. Son état de conservation justifie aussi une estimation s’élevant à 100 000/150 000 €. Un peu plus loin, Hécate, la déesse de la nouvelle lune revêtue de marbre blanc, rayonne de dignité. Quelque peu hiératiques  l’œuvre date des Ier-IIe siècles , ses trois corps féminins représentant les trois phases de l’évolution humaine s’adossent à une colonne gravée du croissant lunaire (80 000/120 000 €). On l’aura compris, Christian Levett n’est pas insensible à la figure humaine. Il se penche volontiers sur les masques de sarcophage égyptiens à l’effigie du défunt, ou sur des statuettes de divinités. En témoigne celle d’Osiris, un travail de Basse Époque en bronze finement gravé (20 000/30 000 €). De l’Étrurie, il a été séduit par la pureté des traits et la symétrie des visages des ex-voto, à l’image d’une tête estimée entre 20 000/22 000 €. Mais, quoi de plus noble que la tête de Déméter en marbre blanc, les cheveux ondulés couverts à l’arrière d’un himation ? Dans cette œuvre hellénistique des années 330-320 avant notre ère, transparaît la souffrance stoïcienne de la déesse de la terre, consécutive à l’enlèvement de sa fille Perséphone par Hadès (62 000/70 000 €). L’Empire romain, lui, peut compter sur la bienveillance de Jupiter-Sérapis, divinité syncrétique romano-égyptienne créée par Ptolémée Ier, en fusionnant les dieux Apis, Zeus, Hadès et Asclépios. La statue en marbre des IIe-IIIe siècles et haute de 50 cm (52 000/60 000 €), cassée au niveau des jambes, possède en effet comme un air de Zeus…

 

Art hellénistique, IVe-IIIe siècle av. J.-C. Ornement de coiffure circulaire au buste de la déesse Artémis, or et pierre rouge, diam. 8,2 cm. Estimati
Art hellénistique, IVe-IIIe siècle av. J.-C. Ornement de coiffure circulaire au buste de la déesse Artémis, or et pierre rouge, diam. 8,2 cm.
Estimation : 12 000/15 000 €

Objets votifs et grivois
À côté de tous ces visages idéalisés, on compte bon nombre d’objets évocateurs du quotidien, d’une fourche romaine en bronze des IIe-IIIe siècles (3 000/4 000 €) à une tasse grecque en terre cuite vernissée noir de 450-425 av. J.-C. (5 000/8 000 €), en passant par un pichet de la mer Caspienne en bronze du premier millénaire av. J.-C., accessible à 500/800 €, et une coupe en forme de coquille Saint-Jacques, elle aussi en bronze, travail romain du Ier siècle attendu autour de 1 500 €. Une sélection qui ne serait pas complète sans son volet grivois… Grivois, certes, mais concernant des objets qui peuvent se doubler d’une vocation votive ou apotropaïque. C’est le cas d’un ex-voto phallique gallo-romain des Ier-IIe siècles (8 000/10 000 €), ou d’un cylindre de calcaire romain contemporain, sculpté en relief d’une scène érotique (6 000/8 000 €). Attendons, maintenant, de voir si certaines de ses pièces retrouveront place dans d’autres vitrines de musées…

 

3 questions à
Christian Levett
 
© Musée d’Art Classique de Mougins (MACM) 2017
© Musée d’Art Classique de Mougins (MACM) 2017


Quelle politique d’acquisition avez-vous définie pour le musée de Mougins ?
J’ai toujours fait très attention aux provenances et acheté uniquement aux enchères publiques et auprès de galeries reconnues. Mais ma politique d’acquisition s’est beaucoup durcie avec le temps. La dernière antiquité que j’ai achetée est un important bol en bronze hellénistique, du IIIe siècle av. J.-C., proposé par la galerie Charles Ede à la Tefaf de Maastricht cette année. Sa provenance est tracée jusqu’au XIXe siècle, et il a été exposé et publié en 1906. Par ailleurs, à Mougins, les arts moderne et contemporain prennent une importance croissante ces dernières années ; le public sait apprécier leur juxtaposition avec les antiquités. Aussi vais-je ajouter un Mario Sironi de 1942 et une autre céramique de Grayson Perry dans les salles, cet automne.

Certains acteurs du monde de l’art français ont-ils manifesté leur surprise devant votre décision de vendre ces objets, même si votre musée est une institution privée ?
Personne ne nous a contactés pour exprimer de telles réserves. Il ne s’agit pas d’une collection gouvernementale devant rendre des comptes aux contribuables qui la feraient vivre. Le musée me coûte des centaines de milliers d’euros par an pour son fonctionnement, une somme entièrement couverte par moi-même. Cet argent bénéficie à des milliers de personnes qui le visitent et l’apprécient. Étant donné que je continue à acheter depuis son ouverture, les réserves sont devenues trop encombrées. Nous ne sommes pas un musée national, où il est normal d’entreposer des montagnes d’objets même s’ils n’en sortent pas pendant des décennies. Nous préférons donner aux collectionneurs et aux musées l’opportunité de profiter à nouveau de ces objets.

Parmi les lots en vente, quel objet en particulier a votre préférence ?
Le panneau de sarcophage en marbre, illustrant des amours vendangeurs et moissonneurs, est une pièce vraiment charmante. La statue représentant la déesse Hécate, avec ses trois corps féminins, est également un marbre époustouflant, tant aux plans historique que visuel.
Le musée d’Art classique de Mougins
en 5 dates
2003    
Christian Levett commence à investir dans l’art
2008  
Le projet de musée est engagé
2009    
Acquisition, à New York, du relief aux amours vendangeurs et moissonneurs
2011    
Ouverture du musée d’Art classique de Mougins
2013    
Première exposition temporaire : «Dorique /by Sean Scully».
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