Soixante antiquités du musée d’Art classique de Mougins, abritant la collection de Christian Levett, seront bientôt proposées à Drouot. Quand le rêve devient réalité…
Des as de la finance qui investissent leur argent dans l’art, il en existe quelques-uns. Mais ni Leon Black, ni Kenneth Griffin, ni encore Steven Cohen n’ont mis leurs collections au service du public au sein d’un musée qui leur serait propre. Christian Levett a fait ce choix en 2008, cinq ans seulement après avoir endossé son costume de collectionneur. Certes, enfant déjà, il rassemble des médailles de la Seconde Guerre mondiale et des monnaies, achetées dans une boutique de sa rue à Essex, dans l’Angleterre qui le voit grandir. En 1997, jeune trader en poste à Paris, il visite le Louvre et ne manque pas d’admirer aucune des pièces exposées. Six ans plus tard, à Londres où il réside toujours , ses revenus explosent : il décide d’investir dans l’art, en se concentrant sur les manuscrits anciens et les monnaies romaines. Mais c’est dans un catalogue de vente aux enchères d’antiquités qu’il voit la possibilité d’exaucer un rêve, celui de posséder d’authentiques casques romains et des sarcophages égyptiens… En 2001, les héritiers du collectionneur Axel Guttmann vendent son extraordinaire ensemble d’armes anciennes, inondant le marché. Christian Levett profite de la chute des prix engendrée pour entreprendre ce qui est devenu la plus importante collection privée d’armures et de casques gréco-romains du monde. En 2008, il charge Marc Merrony, le rédacteur en chef de Minerva, revue anglaise spécialisée dans l’Antiquité qu’il a rachetée quelques années plus tôt, de réfléchir à un musée où exposer une partie de ces vestiges archéologiques. Pourquoi pas à Mougins, où il possède une maison et deux restaurants ?
Un bon investissement
Le musée d’Art classique de Mougins voit ainsi le jour en 2011. Et compte déjà un beau palmarès pour une institution si jeune : prix du magazine Apollo pour la meilleure inauguration muséale en 2011, Ken d’Or en 2012 ex-aequo avec le Louvre , il est le seul musée français nominé pour le prix du Meilleur musée européen de l’année 2013… Christian Levett s’est même vu attribuer un fellowship par l’Ashmolean Museum d’Oxford. Ce qui fait la force de ce projet, c’est le dialogue instauré entre les antiquités et les œuvres classiques, néoclassiques, modernes et contemporaines de Rubens à Dalí et de Cézanne à Hirst, régulièrement acquises par l’homme d’affaires pour les confronter à leurs modèles antiques, iconographiques ou formels. Alors, un si bel équilibre ayant été atteint, pourquoi décider de se séparer d’une partie des collections ? Afin de renouveler et continuer d’enrichir ce musée privé, conservant par conséquent des œuvres non inaliénables. Pierre Bergé & Associés s’est vu confier cette mission en raison de la confiance que lui accorde de longue date Christian Levett, satisfait des acquisitions qu’il y avait effectuées. En premier lieu, un Mercure en bronze doré, que l’homme d’affaires a prêté en 2012 à la Royal Academy de Londres, pour la fameuse exposition «Bronze». Le 10 octobre prochain, certains objets repasseront donc sous le marteau de la maison parisienne, tel un vase cylindrique en bronze provenant de Marlik, orné de taureaux ailés et proposé autour de 7 000/9 000 €. Par ailleurs, Christian Levett a su pousser la porte des galeries spécialisées les plus rigoureuses, à l’image des Royal-Athena Galleries, institution new-yorkaise qui domine le secteur de longue date, où notre collectionneur a découvert, dans les années 2000, les futures vedettes de ses collections comme le panneau de sarcophage romain aux amours, évalué entre 100 000 et 150 000 €, et une tête de Déméter hellénistique (62 000/70 000 €), pour ne citer qu’eux.
L’antique, c’est chic
Pour la première fois, le musée de Mougins va se séparer d’objets exposés dans ses salles, et non dans les réserves comme cela a pu être le cas par le passé. Un sérieux gage de qualité ! La représentation des différentes cultures méditerranéennes est équilibrée, même si Rome jette son ombre sur l’ensemble, avec vingt-six pièces. À cette civilisation appartiennent les deux têtes d’affiche de la collection. D’une part, le relief en marbre déjà évoqué provenant d’un sarcophage daté du IIIe-IVe siècle ; long d’un mètre, il déroule une composition des plus charmantes, mettant en scène des amours s’adonnant aux vendanges et à la moisson. Son état de conservation justifie aussi une estimation s’élevant à 100 000/150 000 €. Un peu plus loin, Hécate, la déesse de la nouvelle lune revêtue de marbre blanc, rayonne de dignité. Quelque peu hiératiques l’œuvre date des Ier-IIe siècles , ses trois corps féminins représentant les trois phases de l’évolution humaine s’adossent à une colonne gravée du croissant lunaire (80 000/120 000 €). On l’aura compris, Christian Levett n’est pas insensible à la figure humaine. Il se penche volontiers sur les masques de sarcophage égyptiens à l’effigie du défunt, ou sur des statuettes de divinités. En témoigne celle d’Osiris, un travail de Basse Époque en bronze finement gravé (20 000/30 000 €). De l’Étrurie, il a été séduit par la pureté des traits et la symétrie des visages des ex-voto, à l’image d’une tête estimée entre 20 000/22 000 €. Mais, quoi de plus noble que la tête de Déméter en marbre blanc, les cheveux ondulés couverts à l’arrière d’un himation ? Dans cette œuvre hellénistique des années 330-320 avant notre ère, transparaît la souffrance stoïcienne de la déesse de la terre, consécutive à l’enlèvement de sa fille Perséphone par Hadès (62 000/70 000 €). L’Empire romain, lui, peut compter sur la bienveillance de Jupiter-Sérapis, divinité syncrétique romano-égyptienne créée par Ptolémée Ier, en fusionnant les dieux Apis, Zeus, Hadès et Asclépios. La statue en marbre des IIe-IIIe siècles et haute de 50 cm (52 000/60 000 €), cassée au niveau des jambes, possède en effet comme un air de Zeus…
Objets votifs et grivois
À côté de tous ces visages idéalisés, on compte bon nombre d’objets évocateurs du quotidien, d’une fourche romaine en bronze des IIe-IIIe siècles (3 000/4 000 €) à une tasse grecque en terre cuite vernissée noir de 450-425 av. J.-C. (5 000/8 000 €), en passant par un pichet de la mer Caspienne en bronze du premier millénaire av. J.-C., accessible à 500/800 €, et une coupe en forme de coquille Saint-Jacques, elle aussi en bronze, travail romain du Ier siècle attendu autour de 1 500 €. Une sélection qui ne serait pas complète sans son volet grivois… Grivois, certes, mais concernant des objets qui peuvent se doubler d’une vocation votive ou apotropaïque. C’est le cas d’un ex-voto phallique gallo-romain des Ier-IIe siècles (8 000/10 000 €), ou d’un cylindre de calcaire romain contemporain, sculpté en relief d’une scène érotique (6 000/8 000 €). Attendons, maintenant, de voir si certaines de ses pièces retrouveront place dans d’autres vitrines de musées…