Si la Saint-Valentin a des origines plus triviales, l’histoire d’Éros prend sa source aux balbutiements de l’art et se conjugue aussi au présent dans les ventes aux enchères.
Le 14 février prochain, comme tous les ans depuis le temps des troubadours, les amoureux du monde entier fêteront la Saint-Valentin. Mais peu d’entre eux savent que cette date correspond au supplice et à la décapitation de l’évêque thaumaturge Valentin de Terni, un 14 février, autour de l’an 269, à Rome, sur ordre de l’empereur Claude II le Gothique. On a vu plus romantique… Deux siècles plus tard, en 495, le pape Gélase Ier décide de contrer la dernière grande fête païenne dédiée à la fécondité et placée sous le signe de Saturne, les Lupercales, et de la remplacer par la célébration solennelle du saint martyr. Il n’est alors point question encore d’assimiler Valentin à l’amour. Le haut Moyen Âge s’en chargera, à la suite de différents raccourcis détaillés dans l’ouvrage de Jean-Claude Kaufmann, Saint-Valentin, mon amour ! (éditions Les Liens qui libèrent). C’est en Angleterre que l’on retrouve les plus anciennes mentions associant la fête à un contexte amoureux, dans une lettre adressée par le roi Henri V à Catherine de Valois en 1420, et dans les Lettres de Paston, rédigées en 1477, dont celle qui nous intéresse, par Margery Brewes, à l’adresse de son futur époux. Au XVe siècle, la tradition des poèmes d’amour est déjà bien ancrée. Les gages d’affection varient selon la situation financière et deviennent qui, simples guirlandes de fleurs, qui, médaillons précieux. L’on apprend encore que c’est au XIXe siècle, dans un pays «tout récent et en manque de fêtes sentimentales», les États-Unis, que la Saint-Valentin prend une tournure commerciale avec le développement de la fameuse carte. Les publicitaires s’en emparent, la vieille Europe, qui s’était un peu lassée, succombera à nouveau sous le charme des libérateurs de 1944. Et voici le phénomène prêt à envahir, pacifiquement, la planète.
Paris, Marseille, Strasbourg
Tout récemment, mais timidement, le monde de l’art s’est mis à la page pour ne pas laisser filer cette belle occasion. Le musée Rodin pour la deuxième fois invite à une promenade, une «soirée Love» dominée par le fameux Baiser. Marseille lancera sa saison culturelle, «MP2018, quel amour !», mercredi 14, à 19 heures, sur le Vieux-Port, tandis que le Mucem, dans la foulée, ouvrira grand ses portes pour une nocturne insolite. Quant à Strasbourg la romantique, elle réinvente la fête à sa manière par une sixième édition, déjà. Aux enchères, l’amour est un thème fort : littérature, peinture, céramiques, sculptures… nul besoin d’attendre le mois de février, il se célèbre tous les jours. Tellement même qu’il a fallu «angler» le sujet. Courtois, fraternel, maternel, philosophe, passionné ? Le choix était cornélien. Cupidon, ou Éros pour les hellénistes, a lancé ses flèches le premier. C’est sous sa figure joufflue que ce papier sera placé, comme une déclaration.
Légende des siècles
Rendons-lui ce qui lui appartient ! «Le plus beau des immortels», «celui qui était au commencement avec Chaos et Gaïa» selon Hésiode, demeure à tout jamais un enfant potelé pour bon nombre d’artistes. Fils d’Aphrodite pour certains, Éros traverse la mythologie et les siècles pour inspirer peintres et sculpteurs. L’art grec est le premier à le statufier. Le jeune dieu prend les traits d’un beau jeune homme, les yeux bandés pour symboliser l’aveuglement de l’amour, portant un arc. La mythologie romaine le fait enfant, armé de son carquois et de ses flèches, souvent protégé par sa mère. Au fil des siècles, de Parmigianino à Canova en passant par les non moins célèbres Caravage, Allori, Batoni, Natoire, Fragonard et Boucher et tant d’autres, il est représenté enfant ou jeune homme, en compagnie de sa mère ou de Psyché, son amante, souvent facétieux, futé, nimbé de sa seule nudité héroïque, parfois emporté par sa passion, toujours doté de ses deux ailes et de ses flèches en or, prêtes à être décochées. Dans un beau désordre qui lui rend hommage, il se décline depuis l’Antiquité dans tous les matériaux employés par les artistes et inspire aux écrivains quelques-uns de leurs textes les plus célèbres. Dans son roman Métamorphoses, ou L’Âne d’or, Apulée narre l’épisode de ses amours avec Psyché et le concours de Zeus pour célébrer le mariage des deux amants. En 1669, Jean de La Fontaine leur dédiera un conte et avertit : «Tout l’univers obéit à l’Amour ; […] aimez, aimez, tout le reste n’est rien». Le jeune Antonio Canova en est convaincu. Il n’a que 30 ans lorsqu’il reçoit la commande magistrale de l’Amour et Psyché, qui sera suivie de celle de Psyché ranimée par le baiser de l’Amour, une icône de la sculpture néoclassique dûment copiée mais jamais égalée tout au long du XIXe siècle.
Chronique d’un succès annoncé
Deux noms se démarquent dans la représentation de l’Amour au XVIIIe siècle, par le succès qu’ils ont rencontré et la descendance qu’ils ont eue: Étienne-Maurice Falconet (1716-1791) et François Boucher (1703-1770). Le premier est un sculpteur émérite. En 1757, pour le jardin de l’hôtel d’Évreux, actuel palais de l’Élysée, et sur une commande spéciale de madame de Pompadour, il réalise en marbre L’Amour menaçant, selon une iconographie inspirée d’Harpocrate. Posant le doigt sur ses lèvres, le dieu du silence se retient de lancer l’une des flèches de son carquois. Sèvres édite cette figure l’année suivante et lui donne un pendant en 1761, La Nymphe ou Psyché. Le site de la manufacture nous apprend que ce sujet en biscuit, abondamment diffusé tout au long du siècle et repris par Wedgwood et Saint-Pétersbourg, était l’œuvre préférée des marchands-merciers de l’époque. On recueillit 15 192 € pour l’une de ces statuettes chez Fraysse, en novembre 2017 et, à ses côtés dans les vitrines de Drouot, du même auteur, de la même manufacture et dans la même matière mais cette fois sur des dessins de François Boucher, le groupe de l’Éducation de l’Amour, ou L’Amour précepteur, se laissait admirer à 12 914 €. Créé en 1763, celui-ci connut la même renommée et figurait parmi les œuvres les plus chères vendues par Sèvres. François Boucher, justement, irriguera toute une génération d’artistes de ses charmants sujets. L’enfance est son thème de prédilection, il lui donne le visage et les ailes de l’Amour. Il réinterprète à sa manière le putto grassouillet, tiré de la mythologie et appris lors de son voyage à Rome ; il le fait devenir Cupidon, le multiplie mais le conserve potelé et joufflu. Le 25 juin 2014, une toile à la matière onctueuse et aux couleurs douces accrochait 262 500 € chez Ader. Le peintre élève ainsi les représentations d’amours au rang de genre indépendant. Les collectionneurs le suivent, une mode est lancée et le petit dieu se retrouve jouant au-dessus d’une porte ou en tableau de chevalet, à Sèvres encore, dessiné par son créateur et s’épanouissant dans les nuées ou frappant sur des tambours. Un gobelet Calabre et sa soucoupe en porcelaine tendre retenaient 30 200 € chez Baron Ribeyre & associés le 16 mars 2017, et une salière dite «de l’Amour timbalier» en porcelaine dure blanche et or, 16 000 € chez Brissonneau en mars 2012. Tout petit aperçu d’un vaste sujet auquel il a souvent été fait offrande. Une chose est certaine, l’Amour n’est pas près de rendre les armes…