Cet ensemble choisi, rendant hommage aux multiples civilisations qui fleurirent sur les territoires de la Mésoamérique, sera bientôt dévoilé à Paris. On goûtera l’authenticité de ces pièces conservées telles qu’à leur découverte.
Pour Manichak et Jean Aurance, l’élément qui a présidé à la naissance de leur collection d’objets précolombiens a été la visite, au printemps 1962, de l’exposition «Chefs-d’œuvre d’art mexicain» au Petit Palais. Anciens étudiants aux Arts décoratifs et aux Beaux-Arts de Paris, ils ont ressenti à cette occasion un véritable coup de foudre pour un univers formel jusque-là ignoré d’eux. Il devait se concrétiser, quelques mois plus tard, par un premier achat à la galerie d’Olivier Le Corneur. Une enseigne «découverte, un soir, alors qu’arrêtés au feu rouge de la rue Bonaparte nos yeux se sont posés sur les statuettes exposées dans sa vitrine. Le lendemain, nous y retournions», raconte Manichak Aurance. Au gré des acquisitions, des pièces maîtresses vont structurer la collection, glanées auprès de marchands esthètes, emblématiques de ce milieu des passionnés d’art précolombien, du Paris des années 1960 et 1970. Jean Roudillon, qui a été l’un de leurs interlocuteurs privilégiés, se souvient de «cette époque incroyable où l’on redécouvrait les civilisations préhispaniques, grâce à l’afflux de pièces originales. Au vu de leur très grande qualité, on n’avait pas à les restaurer, et elles étaient alors appréciées dans leur état fragmentaire». Pour l’expert, c’est aussi la marque de fabrique de la collection Aurance cette fameuse «absence de toute restauration capable d’annihiler un objet», selon les mots mêmes de Manichak qui devrait assurer le succès de la dispersion. Ainsi un admirable masque cultuel (vers 450-650) de Teotihuacán, lacunaire, reproduisant le visage d’un grand seigneur ; il est à rapprocher du masque de la collection André Breton, de même datation et aujourd’hui au musée du quai Branly. Pour ce bel exemple de l’art lapidaire de la «cité des Dieux», il faudra donc prévoir 6 000/8 000 €. Bien plus tôt, vers 2000 av. J.-C., les Olmèques s’étaient installés sur la côte du golfe du Mexique, leur civilisation s’étendant plus tard jusqu’au littoral du Pacifique. Ils ont laissé d’innombrables statuettes d’enfants-jaguars arborant des crocs, cousins d’une Vénus «à l’expression féline» dont le contour des lèvres rappelle celui de babines ; on peut la dater de la période préclassique moyenne, soit 1200-400 avant notre ère (2 000/3 000 €). Quant aux célèbres têtes monumentales de guerriers casqués, elles trouvent ici un écho avec un petit buste de dignitaire en serpentine brune sculptée et polie, de la même époque et provenant de la région de Veracruz. Sa coiffure brillante semble indiquer qu’il s’agit d’un chamane guerrier, et devrait attirer 2 500/ 3 500 €. De la culture tlatilco du nom du village du haut plateau central où a été découvert un vaste site archéologique , on pourra aussi acquérir des statuettes de terre cuite, comme une Vénus callipyge de fécondité, aux cuisses démesurées (1200-550 av. J.-C.), estimée 1 500/2 000 €.
Déesses mères de la mythologie aztèque
À l’examen du catalogue, on constate que ce sont les cultures de la Mésoamérique qui ont le plus retenu l’attention du couple Aurance, et particulièrement le fascinant monde aztèque. «Il est ici illustré par un ensemble de sculptures exceptionnelles, dont ces deux statues de divinités féminines qui constituent les chefs-d’œuvre de la collection», précise l’expert de la vente, Serge Reynès. La première d’entre elles, en pierre volcanique, représente Coatlicue, déesse de la fertilité et de la terre, l’un des piliers de la dévotion aztèque, et date de l’époque impériale (1350-1521). Car il s’agit de la mère des dieux qui a enfanté la Lune, les étoiles et le dieu du soleil et de la guerre, le redoutable Huitzilopochtli. Figure tutélaire et protectrice, elle était aussi appelée par ses adorateurs Toli, «notre grand-mère». C’est sous cette dernière apparence qu’elle apparaît dans la collection Aurance, avec l’une des représentations connues de ce type. On peut donc l’estimer entre 50 000 et 80 000 €. La seconde déesse primordiale du panthéon aztèque se nomme Chalchiuhtlicue et régit le monde de l’eau. Assise, elle porte un huipil, vêtement à trois pans triangulaires, agrémenté de plusieurs pendentifs. Son visage, tourné vers le ciel et surmonté d’une savante coiffe architecturée, est empreint d’une expression extatique, qui devrait lui valoir 40 000/60 000 €. De surcroît, ces deux statues probablement destinées au culte ont eu les honneurs d’expositions de référence, en particulier celle du musée Rath à Genève («Mexique, terre des dieux : trésors de l’art précolombien») de novembre 1998 à janvier 1999. Mais qui dit culte aztèque dit offrandes sacrificielles… Celles-ci sont évoquées par un impressionnant autel cérémoniel quadrangulaire sculpté en ronde bosse de têtes de mort et tibias entrecroisés. Passé par la célèbre collection du Français Eugène Pépin, ce monolithe, contemporain des deux pièces précédentes, provient de la capitale Tenochtitlán, l’actuelle Mexico (comptez 30 000/40 000 €).
Rois, prêtres et guerriers : le monde des Mayas
Loin de là, entre le Yucatán et l’actuel Guatemala, s’étend le pays des Mayas. Divisé en plusieurs cités-États, il donnera naissance à un art extrêmement raffiné, à l’image d’un bas-relief orné d’un seigneur-prêtre, tenant un encensoir et flottant dans les eaux immémoriales de l’inframonde, ou monde souterrain. «Une pièce au pedigree d’autant plus intéressant qu’elle a été acquise en 1969 auprès de Robert Vergnes, explorateur et marchand haut en couleur», souligne Serge Reynès ; elle devrait donc atteindre 20 000/
30 000 €. Sur un second bas-relief se déploie la tête de la divinité Oiseau céleste, hôte des sphères les plus élevées de la cosmogonie maya. Cette face de rapace nocturne est surmontée d’une couronne étagée de constructions géométriques. Datant de l’époque classique (600-900), la sculpture représente l’un des avatars du dieu Kukulkan, emblème de pouvoir des rois et princes que l’on retrouve sur nombre de monuments religieux ou commémoratifs, tels le temple 4 de Tikal ou la stèle «H» de Copán (25 000/35 000 €). La grande spécialité des Mayas demeure les terres cuites, dont les artefacts produits sur l’île de Jaina, dans l’État de Campeche. En témoigne la figure d’un autre seigneur-prêtre (vers 550-900), assis dans une position hiératique, les paumes des mains tournées symboliquement vers l’avant. Détail des plus révélateurs : les deux cuirasses posées sur ses joues et destinées à le protéger des impacts au cours du jeu rituel de balle. On pourra l’admirer en échange de 6 000/8 000 €. Enfin, parmi les nombreux récipients de céramique polychromes se détache un vase cylindre peint sur ses parois externes de deux cartouches personnifiant Chaac, le dieu de la pluie. De sa bouche jaillissent deux volutes qui symbolisent le flot aquatique s’écoulant d’une source ou d’une fontaine. L’effigie reprend le masque de la divinité qui était porté par les prêtres lors des cérémonies sacrées. Il faudra prévoir 4 000/6 000 € pour cette représentation de l’une des figures primordiales du panthéon maya.