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Pierre Moos : l’homme qui recréa le Parcours des mondes

Publié le , par Céline Piettre

Non content d’avoir sauvé le salon d’une fin annoncée, il est celui qui en a repoussé les frontières au-delà du continent africain. Entretien avec le collectionneur, et directeur du Parcours, à l’heure où ce dernier s’ouvre à l’archéologie.

  Pierre Moos : l’homme qui recréa le Parcours des mondes
 
PHOTO PARCOURS DES MONDES

Quand vous avez repris le Parcours des mondes en 2008, l’événement était moribond. Comment avez-vous remonté la pente ?
J’ai d’abord racheté le magazine Tribal Art, qui n’était pas en grande forme. Je collectionnais déjà à l’époque. Des marchands sont venus me voir pour m’inciter à reprendre le Parcours. J’ai rencontré son fondateur, Rik Gadella, qui a bien voulu me le céder, assez cher d’ailleurs. Pourquoi cela ne marchait-il pas ? Sur 1 000 € de bénéfices, il n’en plaçait que 100 en publicité. Nous, c’est l’inverse ! Il n’y a pas de recette magique : si vous organisez un événement, il faut le faire connaître. Et ne pas espérer gagner de l’argent ! Nous avons procédé dès le départ à une sélection drastique des marchands, en nous basant sur le magazine. Notre vetting est également très strict. Une seule fois, un marchand a présenté une pièce volée, mais il l’a fait en toute bonne foi.
Une collectionneuse grecque, Kyveli Alexiou, est la présidente d’honneur : la deuxième femme dans toute l’histoire du Parcours…
Le milieu est encore très masculin. Prenez le magazine : sur cent abonnés, quatre-vingt-quinze sont des hommes. Non pas que le milieu soit machiste, mais il y a une superstition qui pèse sur l’art africain, selon laquelle les objets porteraient malheur, et les femmes y sont peut-être davantage sensibles. Villepin, par exemple, grand collectionneur, laissait les pièces chez les marchands pour que son épouse ne voie pas qu’il les avait achetées. C’était donc une opportunité unique qu’une collectionneuse d’art africain et océanien, jeune de surcroît, et qui fréquente régulièrement le Parcours, en prenne la présidence.
Vous ouvrez le Parcours à l’archéologie. Ne craignez-vous pas d’en diluer l’offre ?
N’oublions pas que la manifestation s’appelle «Parcours des mondes». Pourquoi n’y trouverait-on pas de l’art précolombien, des Philippines, d’Ukraine ? Nous avons commencé par l’Asie, puis nous avons invité des marchands d’archéologie, et comme cela a très bien marché, nous en accueillons huit cette année. Le vrai collectionneur n’est pas monomaniaque, je suis bien placé pour le savoir (montrant une statuette égyptienne, ndlr). Et les Français ont une incroyable culture de l’ailleurs. Les marchands étrangers s’en étonnent tous les ans : ils n’ont jamais rencontré des gens qui connaissaient aussi bien l’art chinois.

 

Archipel Bismarck, Nouvelle-Irlande, vers 1870. Proue de pirogue, bois sculpté, pigments, coquillages, h. 33 cm. Galerie Flak.
Archipel Bismarck, Nouvelle-Irlande, vers 1870. Proue de pirogue, bois sculpté, pigments, coquillages, h. 33 cm. Galerie Flak. © Photo Hugues DUBOIS

Vous parlez d’une fréquentation à 50 % étrangère...
J’ai dirigé un groupe de dix-sept usines, dont treize à l’étranger. J’ai travaillé au Gabon… J’ai toujours été tourné vers l’international. Quand j’ai repris le Parcours, certains marchands souhaitaient qu’il ne soit ouvert qu’aux enseignes françaises. Or, un galeriste étranger fait venir ses clients et cela profite à tous. Aujourd’hui, le monde entier fréquente le salon, pas uniquement les Américains. On reçoit beaucoup de Russes et de plus en plus de Chinois. Si l’on se fie aux abonnés du magazine, cela représenterait quarante nationalités, même si les collectionneurs types restent le Français, le Belge et l’Américain
du Nord.

Tous les exposants veulent être situés rue des Beaux-Arts : cette surconcentration limite-t-elle, de fait, l’augmentation du nombre de galeries ?
Certains préfèrent sauter une édition s’ils ne sont pas rue de Seine ou rue des Beaux-Arts ! Mais vous savez, c’est déjà un travail énorme, et il n’y a pas tant de galeries d’art tribal que cela : une soixantaine dans le monde. Alors que dans un seul immeuble, à Chelsea, vous en comptez déjà quarante en art contemporain.
Le Parcours a la réputation de miser sur le haut de gamme, si bien que certains amateurs, pas assez pourvus, le déserteraient pour la Brafa ou la Bruneaf…
Nous ne sommes pas plus chers qu’ailleurs. En art tribal, on ne parle que des gros prix des ventes aux enchères. Mais on peut se faire plaisir pour une somme raisonnable : je n’ai jamais acheté pour ma part au-dessus de 50 000 €. Une pièce a fait dernièrement 1,5 M€ en salle des ventes, mais elle avait été vendue au Parcours deux ans auparavant, pour seulement 200 000 €.
Existe-t-il un concurrent sérieux à cette manifestation ?
Non, mais je le regrette. Plus on parle de l’art tribal, mieux c’est. J’appelle cela le «syndrome de la rue de la Chaussée-d’Antin»…
Avez-vous déjà songé à créer une bouture à l’étranger ?
On me l’a demandé plusieurs fois, surtout à New York. Mais tout y est beaucoup plus cher. Pour un stand, il fallait compter au moins 20 000 $. Or, sur les soixante marchands du Parcours, seuls cinq auraient pu se le permettre. Car il faut bien comprendre que le Parcours, c’est «cadeau» : 7 000 € pour le plus grand événement mondial ? Il suffit de vendre une seule pièce pour amortir ses frais. Et j’aime autant que l’on fasse quelque chose à Paris, je suis un peu chauvin. Les seuls pays qui tiennent la route dans ce domaine sont la France, la Belgique, l’Allemagne et l’Espagne. Parmi les meilleurs, deux marchands ne peuvent pas venir cette année et nous sommes en froid avec le troisième, sur la question des restitutions.

 

Égypte, dynastie lagide, règne de Ptolémée XII (80-51 av. J.-C.). Relief du temple du pharaon Ptolémée XII, grès, 78 x 52 cm. J. Bagot Arqueología S.L
Égypte, dynastie lagide, règne de Ptolémée XII (80-51 av. J.-C.). Relief du temple du pharaon Ptolémée XII, grès, 78 x 52 cm. J. Bagot Arqueología S.L.
PHOTO MARIA PAGEO



Quelle est votre position à ce sujet ?
Emmanuel Macron a affirmé que 90 % des pièces africaines étaient sorties d’Afrique, et il a raison, mais il oublie une chose, c’est que plus de la moitié des pièces qui sont sur le marché ont été fabriquées pour être vendues. Dans ma collection, sur quatre cents pièces, je reste persuadé que la moitié ont été créées en Afrique par et pour les Africains. Heureusement que les marchands sont là pour faire la différence et présenter des pièces authentiques. Les restitutions, c’est un faux débat et s’il est apparu, c’est pour des raisons politico-économiques. Depuis quelques années, l’Afrique est devenue le continent où investir. Restituer des œuvres, c’est la garantie de pouvoir vendre des Airbus.
Comment le goût des amateurs d’art africain a-t-il évolué ?
Il y a des modes. À une époque, les reliquaires kota valaient une fortune, puis les prix se sont effondrés. Mais il y a surtout très peu de belles pièces. Si une tendance se dessine, à mon avis, c’est l’intérêt pour l’Océanie, qui représente aujourd’hui 15 % du marché au lieu de 8 % il y a quelques années.
Possédez-vous toujours les dessins d’André Lhote avec lesquels vous avez initié votre collection ?
Ceux-là, ils ne comptent pas, c’étaient des faux ! La première œuvre que j’ai achetée était un dessin de Paul César Helleu, à 21 ans, aux Puces. J’ai collectionné beaucoup de choses : des pièces en bakélite, des bouquins sur les avant-gardes russes, des tissus nazca abstraits : j’ai, par exemple, un «Malevitch» qui a été fait au Pérou il y a mille ans ! Et aujourd’hui, je me consacre à l’art océanien. J’aime aussi beaucoup François Arnal, que je considère comme le plus grand peintre français d’après-guerre. Dès qu’une toile de lui passe en vente, j’achète. Je n’ai jamais investi dans l’art, je m’investis dans l’art.
Fréquentez-vous Drouot ?
Bien sûr. J’y fais beaucoup d’achats, surtout des tableaux et du mobilier ; et de l’art tribal chez Binoche. Il est le seul capable de rivaliser avec les deux grands.
Une anecdote à partager, à l’aube de cette dix-huitième édition du Parcours ?
Il y a deux ans, j’ai rencontré deux dames en train de boire un thé dans le carré VIP, les cheveux blancs, genre Agatha Christie. Je leur demande de quelle région d’Angleterre elles viennent, et me répondent qu’elles sont Australiennes ! Elles avaient traversé la Terre entière pour le Parcours. J’étais assez fier.

Pierre Moos
en 5 dates
2001 Vend l’intégralité de son groupe de sociétés et démissionne
2004 Relance le magazine Tribal Art
2008 Acquiert le Parcours des mondes
2015 Les arts d’Asie intègrent le Parcours
2019 Ouvre la manifestation à l’archéologie pour la 18e édition, (du 10 au 15 septembre, Paris VIe)