La célèbre «deudeuche», la mythique DS… Citroën fête ses 100 ans. C’est l’une des plus anciennes marques automobiles, des plus collectionnées aussi. Un succès dû à un homme innovateur et visionnaire, André Citroën. En avant toute !
Dans quelques jours aura lieu à La Ferté-Vidame le «rassemblement du siècle». «Un centenaire dignement fêté qui aurait plu à André Citroën», aime à dire Nathalie Roussel, en charge de la communication. Cet événement pleinement ancré dans notre monde hyperconnecté aurait en effet séduit cet homme visionnaire et innovateur. S’il n’était pas un mécanicien comme les autres grands noms de l’automobile de l’époque, André Citroën (1878-1935) a su comme nul autre anticiper les changements de la société et ses besoins. Ainsi, comme le raconte Denis Huille, chef de projet au sein de Citroën Heritage, Louis Renault a pu dire de celui qu’il rencontra au lycée Condorcet : «André Citroën est l’homme qui m’empêche de dormir.» Né dans une famille juive d’origine hollandaise, André passe son enfance à Paris, dans le 9e arrondissement. L’érection de la tour Eiffel le décide à devenir ingénieur et à intégrer Polytechnique. Mais le besoin d’entreprendre le démange : il créé sa société sur une idée inspirée d’un voyage en Pologne, en 1900, où il a vu des engrenages à denture hélicoïdale, et non droite, plus silencieux et résistants. À 22 ans, il se lance dans la fabrication de ces roues à double chevron le futur logo de la marque. Il faudra attendre la fin de la guerre pour voir, en 1919, sortir de l’usine du quai de Javel non plus des obus, mais des voitures. Leur prestige brille encore aujourd’hui, comme le prouvent les enchères, à l’image des 612 440 € obtenus en mars 2015, à Moret-sur-Loing (Osenat), par une Citroën Traction Avant 15-Six de 1939 ; un modèle rarissime, dont seulement trois exemplaires ont été fabriqués juste avant la Seconde Guerre mondiale.
La grande série
Le constructeur adopte la production en grande série, qu’il découvrit aux États-Unis dans les usines Ford. «André Citroën avait véritablement l’ambition de démocratiser la voiture», ajoute Denis Huille. Grâce à cette méthode révolutionnaire, il allait pouvoir baisser les prix. Une vision sociétale qu’il poursuivra en créant la première société de crédit à la consommation, la Sovac… La première de ces voitures «prêtes à l’emploi», en 1919, est la type A 10 HP. Économique avec sa faible consommation d’essence, elle présente déjà le confort qui sera la marque de fabrique de Citroën, grâce à ses quatre ressorts quart-elliptiques. En 1934, un an avant que le monde de la finance ne lui tourne le dos, suite à la crise financière mais aussi en raison de ses ambitions coûteuses, André Citroën sort un modèle devenu mythique : la Traction avant. C’est aujourd’hui la plus chère sur le marché. Si la version classique est accessible entre 10 000 et 30 000 €, celle au moteur spécifique ou à la carrosserie cabriolet peut aller bien plus loin, telle la Traction cabriolet 11 AL de 1935, adjugée 114 000 €, en juin 2015 à Lyon (Aguttes OVV).
De la 2CV à la DS présidentielle
Comme l’explique Stéphane Pavot, directeur du Département automobiles Osenat OVV, «les collectionneurs actuels présentent deux profils bien différents ; certains achètent une 2 CV pas cher pour la réparer et retrouver un souvenir de jeunesse, tandis que d’autres recherchent un modèle de prestige pour enrichir leur collection, comme la DS et la Traction». Imaginée dès 1936, l’incomparable «deudeuche» demeure l’une des voitures les plus appréciées. Prévue pour le Salon de 1939, la 2 CV devra attendre 1948 pour être véritablement lancée. Passe-partout et économique, parfaitement adaptée à cette période joyeuse de l’après-guerre, elle sera produite jusqu’en 1990, dans des couleurs et versions variées. Si aujourd’hui sa cote monte, un peu plus encore avec l’effet «Centenaire», on peut l’acquérir entre 3 000 et 20 000 €. Le record ? 75 600 €, le 20 janvier 2018 à Fontainebleau, pour un des 876 exemplaires de la type A, daté de 1949. Autre icone : la DS «soucoupe volante» dessinée par Flaminio Bertoni en 1955 , avec sa tenue de route légendaire, qui permit au général de Gaulle d’échapper à l’attentat du Petit-Clamart, et ses emblématiques suspensions hydropneumatiques. S’il faut compter plus de 100 000 € pour certains modèles, en cabriolet ou en finition luxueuse «Pallas», les plus récents, comme la SM réalisée en collaboration avec Maserati, estimée autour de 30 000 €, offrent une belle marge de progression et représentent un investissement.
Roi du marketing
Mais le succès de la marque ne tient pas seulement à ses automobiles. Grand homme d’affaires, André Citroën a été l’un des premiers à miser sur la publicité et le marketing. Et il va les utiliser mieux que quiconque afin d’imprimer dans l’esprit de tous le sigle aux deux chevrons. Dès 1920, il engage l’agence Wallace et Draeger et fait paraître des publicités en couleurs dans les grands journaux. Mais il voit encore plus grand. Un avion écrivit ainsi, en 1922, le nom de la marque dans le ciel sur 5 km… une première. Autre événement, inimaginable aujourd’hui : il se servira durant dix ans, de 1925 à 1935, de la tour Eiffel comme support publicitaire. Les sept lettres lumineuses de la marque y brilleront avec des variantes chaque année, remarquées de tous. Dès 1933, Pierre Louys (1874-1976) réalise la fameuse affiche Petite Rosalie (2 480 €, le 23 mars 2019 à Fontainebleau), vantant la vitesse de cette voiture de course. Une tradition poursuivie avec les célèbres affiches et slogans «coup de poing» de Savignac, puis dans les années 1970 de Jacques Séguéla, avec notamment la GS «anti-tapecul». Des affiches qui se négocient sur le marché à quelques centaines d’euros pour la majorité. André Citroën diversifie sans cesse son activité, afin d’étendre son champ d’action et d’attraction. Il crée une marque de taxi, ses voitures participent à des courses, et il monte des expéditions scientifiques, avec en 1922 la première traversée du Sahara en seulement vingt et un jours à bord d’autochenilles. Un exploit réitéré en 1924 avec la «Croisière noire» en Afrique, puis la «Croisière jaune» en Asie, en 1931. Enfin, les futures générations de conducteurs ne sont pas oubliées avec, à partir de 1922, la création de jouets en collaboration avec les fabricants Fernand Migault et Marcel Gourdet, dont la «Compagnie industrielle du jouet» sera transférée de Briare à Paris en 1930. Des petites voitures réalistes pour séduire les plus jeunes et les conditionner pour l’avenir. Aujourd’hui, les amoureux de ces miniatures ont bien grandi. Selon l’expert Jean-Pierre Cazenave, ce sont des «hommes de 60 ans, avec un certain pouvoir d’achat et très exigeants. Ils veulent que l’objet soit irréprochable, voire jamais sorti de sa boîte. Certains recherchent les jouets de leur enfance, d’autres veulent ce qu’ils n’ont pas eu petits». Si le marché a connu une baisse ces dernières années, les Jouets Citroën demeurent parmi les plus recherchés et chers, se négociant à 800/1 200 € pour les C6 ou C4, à 4 000/6 000 € pour les grandes voitures ou les véhicules publicitaires, et jusqu’à 10 000 € pour les autochenilles et taxis. Les premiers modèles, aux roues en métal et pneus haute pression étroits, étant les plus prisés, comme la fourgonnette Citroën vendue 18 000 € en 2015 à Versailles. Citroën avait même le projet de créer du mobilier pour bébé… afin que les premiers mots d’un enfant soient désormais «Papa, Maman, Citroën» !