De leur jeunesse à leur maturité, peintres et sculpteurs montreront l’étendue et la variété de leurs talents au château d’Artigny. Gauguin, Bugatti, Rodin ou Hiroshige… autant de grands noms qui feront honneur à ce rendez-vous annuel désormais incontournable.
La 31e vente «Garden Party» de Philippe et Aymeric Rouillac sera menée à pas de velours par des guides de choix, les «compagnons d’existence et de travail» de Rembrandt Bugatti : ses panthères. Le sculpteur d’origine italienne, à la carrière fulgurante, est plus que jamais l’objet de toutes les attentions en salles des ventes, notamment lorsque passe l’une de ses créations les plus rares. Connu à seulement deux exemplaires celui-ci numéroté «1» et un autre, sans numéro de tirage, qui a fait partie de la collection Alain Delon, ce bronze saisissant de réalisme et de mouvement présente de plus la très recherchée patine polychrome , bruns nuancés noir et vert , d’Albino Palazzolo, praticien de l’atelier d’Hébrard. Fréquentant quotidiennement le Jardin des Plantes, bien souvent hors des horaires de visite du grand public, grâce aux gardiens devenus ses amis, Bugatti réussit à capter l’essence même de ces fauves qui, s’habituant à sa présence, se comportent avec naturel. L’artiste a saisi ici les panthères le mâle marchant devant et la femelle le suivant en période de reproduction, lorsqu’elles abandonnent leur solitude habituelle pour se rapprocher de leur compagnon. Une scène qui séduisit le marchand de biens et collectionneur André Bernheim (1879-1966). Avec son épouse, la pianiste Suzanne Cohen, ils achetèrent ce groupe pour décorer leur appartement de la rue de Lille, à Paris. L’œuvre est restée jusqu’à ce jour dans la famille par descendance.
Des talents précoces
Si c’est à l’âge de 38 ans, en 1878, à son retour d’un édifiant voyage à Florence, qu’Auguste Rodin conçut la «Jardinière des Titans», Paul Gauguin n’avait que 17 ans lorsqu’il peignit à l’aquarelle ce Chalet suisse en bords de Loire.
À cette époque, le peintre en devenir est un simple étudiant au lycée impérial d’Orléans. Après être passé par le petit séminaire de La Chapelle-Saint-Mesmin, dans le Loiret, il a échoué au concours d’entrée à l’École navale. Sa mère décide alors de l’envoyer encore une année au lycée, de 1864 à 1865, avant de le laisser s’engager. Une année finalement cruciale puisqu’il y fera une importante rencontre, celle du professeur de dessin Charles Pensée. Ce dernier éveillera la fibre artistique du garçon par ses nombreux exercices. Ayant beaucoup voyagé en Suisse, il propose notamment à ses élèves de dessiner des chalets tels que celui qu’il a pu admirer dans le village d’Erlenbach im Simmental. Mais Gauguin y ajoutera sa touche personnelle, en plantant cette architecture non sur les bords d’un lac mais le long d’un fleuve, avec au loin une gabarre typique de la Loire. Découvert dans la descendance de Désiré Gaugain, un Tourangeau du XIXe siècle, ce dessin serait l’une des toutes premières œuvres de l’artiste. D’autres lots devraient attirer la curiosité par leur rareté, à l’image d’un devoir de licence de sciences physiques écrit , à l’encre noire sur papier , par celle qui sera désignée prix Nobel dix ans plus tard, en 1903, Marie Curie (1867-1934). Il faudra envisager 10 000 € pour emporter ce précieux devoir sur la polarisation rotatoire que la scientifique rédigea pour le professeur Edmond Bouty, de la Sorbonne, et pour lequel elle obtint la note de 14 sur 20. Quatre mois plus tard, elle achevait sa licence en se classant première de sa promotion. Marie Curie offrit ce devoir après 1916 à sa secrétaire à l’Institut du radium, Léonie Jeanne Razet-Pétri, veuve de Jean-Pierre Razet, ingénieur et chercheur sur le polonium qui collabora avec le couple Curie. Comme une preuve de l’avenir qui s’ouvrait alors aux femmes dans les sciences.
Mon truc en plumes
Bien des trésors se cacheront dans d’autres sections, tel ce Soleil couchant (50 000/60 000 €), d’un Gustave Courbet, qui s’impose, avec cette œuvre de 1865, comme l’un des premiers grands paysagistes modernes, par la juxtaposition des couleurs, cherchant à rendre aux mieux l’eau en mouvement et le ciel lumineux. Et que dire de ce rarissime exemplaire à grandes marges de l’édition originale définitive de 1542 du Gargantua et du Pantagruel de François Rabelais ? Il provient de la bibliothèque du comte Alexandre Louis Thomas de Lurde, diplomate et bibliophile du XIXe, et est estimé 60 000/80 000 €. Une dernière étape exotique nous conduira au Mexique avec deux tableaux de plumes du XVIIe siècle, issus d’une collection urugayenne : une Sainte Gertrude (40 000/50 000 €) et un Saint François en prière (120 000/140 000 €). Trois semaines après la préemption par le musée du quai Branly, pour 283 360 €, d’un tableau en plumes de la seconde moitié du XVIe, sur le thème du Christ bon pasteur et de la vie de saint Jean-Baptiste (voir l'article Un poids plume pour le quai Branly de la Gazette n° 21, page 118), une nouvelle occasion sera offerte à Artigny d’acquérir l’une des rares œuvres de ce type, témoignage de l’art de la plumasserie né du métissage de l’enseignement des frères franciscains, arrivés au Mexique au XVIe siècle, et de la technique des artisans appelés amantecas, regroupés dans le quartier de l’Amatlán, au nord de la capitale Tenochtitlan. Les Aztèques prêtaient aux plumes d’oiseaux des vertus magiques et les employaient pour la confection de vêtements et d’insignes de guerre, jusqu’à ce que les Espagnols réutilisent cet art afin de passer leur message religieux, dans des scènes comme la stigmatisation de François d’Assise, moment fort de la chrétienté. Une image qui valait toutes les paroles.