C’est à Port-Marly que l’écrivain fit édifier en 1844 la demeure de ses rêves : un château au cœur d’un parc à l’anglaise, agrémenté d’un pavillon pittoresque. Visite d’un lieu curieusement méconnu.
Alexandre Dumas (1802-1870) se plaisait à dire que le domaine qu’il s’était fait construire sur les hauteurs de Port-Marly, à quelques kilomètres de Paris, était «une réduction du paradis terrestre». Lorsque l’écrivain, fort du succès des Trois mousquetaires, publié en feuilleton dans Le Siècle, sollicite en 1844 l’architecte Hippolyte Durand (1801-1882), le pari semble perdu d’avance. Les terrains qu’il vient d’acquérir, dominant la Seine, sont gorgés d’eau, instables et en forte pente. Durand relève pourtant le défi, et le château néo-Renaissance rêvé par son commanditaire est inauguré en 1846, quelques mois après la parution de deux ouvrages phares, Le Comte de Monte-Cristo et La Reine Margot. Il faut imaginer l’écrivain vivre ici, entouré de ses animaux préférés, chats, poules, vautours et autres singes, occupé à recevoir ses amis, à se promener dans son parc enchanteur agrémenté de rocailles, de grottes et de fontaines, et à écrire, au calme, dans son bureau installé au rez-de-chaussée d’un petit pavillon, qui constitue l’une des premières surprises qui attendent le visiteur. Ce « château d’If » le nom a été choisi a posteriori en référence au Comte de Monte-Cristo a les allures d’une fabrique, dans l’esprit de celles des jardins anglais du XVIIIe siècle. L’architecture mélange allègrement les styles, du néogothique au chalet suisse, en passant par la maison normande à colombages. Sur les pierres de façade sont gravés des titres de romans et de pièces de théâtre d’Alexandre Dumas et, sur le blason de la tourelle, est inscrite la dernière phrase du Comte de Monte-Cristo : «Attendre et espérer !».
Le rêve d’un mégalomane
C’est là que Dumas se retirait pour rédiger, dans cette pièce éclairée de vitraux, restaurée à plusieurs reprises et dont l’aménagement actuel relève de l’interprétation, puisqu’aucune gravure d’époque ne permettait d’en proposer une reconstitution exacte. «Il passait beaucoup de temps ici, mais nous ne savons pas précisément ce qu’il y a écrit. Des impressions de voyages sans doute, et peut-être la suite des Trois mousquetaires», explique Frédérique Lurol, la directrice du domaine, géré et animé par le syndicat intercommunal de Monte-Cristo. Depuis le château d’If, la vue est imprenable sur le bâtiment principal de la propriété, la demeure néo-Renaissance dont la façade, d’une symétrie parfaite, est entièrement sculptée, ornée de portraits à l’effigie de Dumas et d’autres écrivains qu’il appréciait. Les initiales du maître des lieux sont entrelacées sur chacun des deux clochetons, et le fronton porte mention de sa devise : «J’aime qui m’aime». On l’aura compris, le château de Monte-Cristo baptisé ainsi par Dumas est un rêve totalement mégalo, qui relève d’une folie passagère. Car l’écrivain n’y passa, au final, qu’un temps très court. La crémaillère est pendue en 1847, et dès 1849, il se sépare du domaine, après avoir vendu la totalité des meubles de styles variés qu’il avait accumulés avec frénésie. La vente mentionne «un mobilier considérable», et Honoré de Balzac (1799-1850), ennemi juré de Dumas qui le reçut pourtant à Monte-Cristo, évoquera «un encombrement étonnant» à l’intérieur de cette maison qu’il considère comme «la plus royale des bonbonnières qui puisse exister». Après Dumas, le domaine passe de mains en mains, et vit des heures plus sombres. Une société immobilière le rachète pour le louer, et l’école anglaise de Paris s’y installe, entraînant de profondes modifications dans les années 1950. En 1969, le propriétaire envisagera même de raser le château, pour construire quatre cents logements. Sous l’impulsion d’Alain Decaux, une Société des Amis est alors fondée pour la sauvegarde de Monte-Cristo. Dès 1970, les communes de Marly, de Port-Marly et du Pecq s’unissent pour créer un syndicat intercommunal, et racheter le site. Les façades du château sont classées au titre des Monuments historiques l’année suivante, mais il faudra attendre 2016 pour que la totalité de la propriété soit protégée. Le démeublement de la maison par Dumas, ses transformations successives, ainsi que les restaurations engagées sur les bâtiments et le parc entièrement réaménagé entre 1990 et 1994 dans l’esprit d’un jardin romantique du XIXe siècle ont fait de Monte-Cristo ce qu’il est aujourd’hui. «Il ne faut pas s’attendre à visiter un château meublé, prévient Frédérique Lurol, mais nous avons voulu restituer l’atmosphère de l’époque, et suggérer la présence de l’écrivain.» À l’intérieur, un ensemble de tableaux, de dessins, de gravures et de photographies acquis par la Société des Gens de lettres et la Société des Amis de Dumas, racontent sa vie et son œuvre. Essentiellement documentaire, cette collection compte quelques très belles œuvres, dont un portrait de Jeanine Dumas, la fille d’Alexandre Dumas fils, par Jacques-Émile Blanche, un superbe pastel de Marguerite Turner à l’effigie d’Alexandre et Serge Lippmann, les derniers descendants connus de Dumas, ou encore l’émouvante étude en terre cuite de Gustave Doré pour l’imposant Monument à Alexandre Dumas, qui sera inauguré en 1883 sur la place du Général-Catroux, à Paris. Si l’on fait abstraction de certains choix à l’esthétique discutable les bouquets de fleurs artificielles posés sur les cheminées, les chaises en plastique au milieu d’un joli mobilier XIXe , le parcours chronologique et thématique le voyage, la gastronomie… est instructif et plaisant. Après une introduction consacrée à l’enfance de Dumas, puis à ses innombrables conquêtes féminines, le propos se concentre sur sa vie d’écrivain, qui débute par le théâtre. Henri III et sa cour va lancer sa carrière en 1829, suivi de Christine, Napoléon ou La Tour de Nesle, autant de pièces peu jouées aujourd’hui, car très longues, et disons-le, souvent ennuyeuses. En témoignent de réjouissantes caricatures de Cham publiées en 1846 dans L’Illustration, qui montrent les spectateurs se rendant au théâtre, équipés de paniers de pique-nique et de bonnets de nuit.
Les charmes d’un salon mauresque
Les plus grands romans de Dumas sont ensuite évoqués, ainsi que ses Impressions de voyages, ses contes, ses récits historiques et ses Causeries. Son fameux «nègre», Auguste Maquet, n’est pas oublié. Le parcours a également le mérite de mettre en lumière des aspects moins connus du travail colossal de l’écrivain, et notamment les journaux qu’il a créés, Monte-Cristo, Le Mois ou Le Mousquetaire, présentés dans une pièce où trône l’authentique fauteuil dans lequel Alexandre Dumas s’installait pour faire ses dernières corrections chez son imprimeur, à Lagny-sur-Marne. Enfin, le point d’orgue de la visite est assurément le salon mauresque. Restauré en 1985, il constitue aujourd’hui l’unique témoignage de ce qu’était véritablement l’intérieur de cette demeure à l’époque d’Alexandre Dumas. En 1846, tandis que le château est en cours d’achèvement, l’écrivain se rend en Orient, et notamment en Tunisie, où il rencontre deux artisans qui sont en train de construire le mausolée du bey de Tunis. Il revient en France, accompagné des deux hommes, qui réaliseront pour lui, à Port-Marly, ce salon aux délicats décors de stucs inspirés de l’Alhambra de Grenade. Pour Alexandre Dumas, rien n’était impossible. L’extravagance du projet architectural du château de Monte-Cristo en apporte la preuve la plus éclatante.