Du côté de l’Hôtel Drouot, la semaine asiatique battra son plein avec des objets de collection bien choisis, d’une théière XVIIIe en émaux peints sur cuivre à des bronzes archaïques ou un mandala peint japonais. Demandez le programme !
Au moment où les collectionneurs chinois diversifient leurs acquisitions et animent désormais également les ventes d’œuvres occidentales modernes et contemporaines, le marché de l’art asiatique doit s’adapter et devenir plus que jamais sélectif. Si les pièces classiques se vendent moins bien, celles inédites ou rares continuent d’attiser la curiosité et d’atteindre des records. «Les clients sont de plus en plus demandeurs d’objets avec des provenances et un historique parfaitement retracés», explique Théo Lavignon, de l’OVV Auction Art Rémy Le Fur & Associés. Ainsi, pour son catalogue du 12 juin prochain, cette étude a-t-elle choisi de restreindre le nombre de lots au profit d’un important travail de recherches en collaboration avec le cabinet d’expertise Portier et Associés. Des fiches bien complètes, donc, à l’image de celle de la guanyin en porcelaine blanche de Dehua, du XVIIe siècle, provenant d’une ancienne collection néerlandaise. Estimée 15 000/20 000 €, elle est d’un modèle similaire à plusieurs autres statuettes célèbres, dont l’une conservée au Rijksmuseum, d’Amsterdam. Guanyin compte parmi les divinités bouddhiques les plus recherchées. D’origine indienne, son culte fut introduit au VIIIe siècle en Chine. Très populaire, ce bodhisattva a renoncé au nirvana afin de sauver le monde et les hommes. Comme le rappelle Alice Jossaume, du cabinet Portier et Associés, un proverbe chinois ne dit-il pas que «toutes les familles ont des statues de Guanyin» ? Les artisans ont su diversifier ses représentations, en bois, en bronze, en peinture ou en porcelaine blanc de Chine, dont Dehua dans le Fujian, fut l’un des principaux centres de production, avec des pièces sculpturales alliant douceur et virtuosité.
De l’archéologie au XVIIIe
Quand on parle de pièce d’exception, s’impose la théière chinoise du XVIIIe siècle peinte en émaux de la famille rose sur cuivre doré. Provenant d’une ancienne collection européenne, présentée le 12 juin par Gros & Delettrez, elle séduira par sa forme polylobée dont chaque pan est orné, en alternance, de scènes de paysages lacustres et de fleurs. Ce décor peint selon une technique complexe et inspiré de l’art occidental se poursuit sur le couvercle, où s’épanouit une fleur de lotus entourée de fleurs et de feuilles sur fond jaune. «Beaucoup d’objets impériaux ont déjà été vendu ces quinze dernières années. Il y a une véritable raréfaction des objets d’art asiatique sur le marché», explique l’expert Pierre Ansas qui mise désormais sur des objets originaux, comme cette théière, mais aussi sur des techniques et des périodes en plein renouveau. «Il semble qu’il y ait le début d’un engouement en Chine pour les objets de la Haute Époque, notamment de l’époque Song, ainsi que pour l’archéologie». Une théorie qui pourrait se confirmer pour l’ensemble de bronzes archaïques dispersé le 12 juin par Fraysse & Associés, comprenant une boucle de ceinture en bronze à patine vert et brun représentant l’accouplement de deux bouquetins, un travail du royaume de Dian, en Chine du Sud, au IIIe-IIe siècle av. J.-C. Elle est annoncée à 20 000/30 000 €, tout comme une boîte à cosmétiques Lian, de la dynastie Han, à trois pieds figurant des animaux passant, aux anses en forme de masque de taotie et dont le couvercle est surmonté de trois béliers couchés en ronde bosse. Un objet rare de par sa forme et son décor, qui peut s’enorgueillir également d’un pedigree sans faute, puisqu’il est passé par des collections prestigieuses, celles de Natanael Wessen à Stockholm, du marchand londonien Eskenazi ainsi que du sinologue Louis Depagne.
Multiplicité des techniques et des matériaux
«Le jade est précieux non pas parce qu’il est rare, mais parce que sa qualité correspond à la vertu d’un homme de bien», disait Confucius. Extrêmement dure, cette gemme à laquelle les Chinois prêtent depuis la nuit des temps bien des vertus thérapeutiques, voire magiques, sera présente avec de très recherchés modèles lors de la vente de la succession de Madame Michel Binoche, le mercredi 19 juin, dont un brûle-parfums chinois du XVIIIe siècle en néphrite blanche, à décor de masques de taotie entourant des caractères «shou» stylisés surmontés d’une tête de chimère sur chaque face (5 000/6 000 €). Investissement incontournable, symbole de statut social et de richesse pour la nouvelle classe moyenne chinoise, la porcelaine est également plus que jamais recherchée dans les ventes. 20 000/30 000 € seront ainsi annoncés le 14 juin par l’étude Thierry de Maigret pour un vase d’époque Yongzheng (1723-1736) de forme balustre inspirée des ouvrages en métal provenant de l’Empire ottoman ou d’Iran, à la panse carrée et aux anses en tête de lions bouddhiques , mais aussi le 17 juin par Tessier & Sarrou et Associés pour une coupe à bord évasé d’époque Yongzheng, en porcelaine décorée en bleu sous couverte et émaux polychromes dits «doucai» d’oiseaux ; elle fut achetée à Pékin en 1909. Mais ces deux dernières ventes diversifieront leur offre en abordant des domaines prêts à être mieux explorés, avec, respectivement, une collection d’une trentaine de textiles chinois menés par une armure de parade de général du XIXe, en soie et velours (5 000/8 000 €) et huit albums de photographies sur la Chine, soit plus de mille trois cents tirages albuminés. Une estimation de 80 000/120 000 € est avancée pour cet ensemble, mais elle pourrait bien être largement dépassée au regard de la vente du 17 décembre 2018, qui avait vu l’adjudication à 137 500 € d’un seul album de même provenance comprenant quatre-vingt-onze photographies également prises par le comte Robert de Semallé (1849-1936).
Inde, Japon, Tibet...
Si les collectionneurs chinois s’ouvrent à l’art occidental, ils apprécient également ceux des autres pays asiatiques, participant à l’émergence du marché de nations en plein développement économique. La vente Aguttes du 12 juin illustrera ce métissage culturel avec une sculpture tibétaine du XIVe siècle en bois laqué et anciennement doré, représentant le roi-serpent Nagaraja debout en position de gardien, le pied droit reposant sur le corps d’un serpent, dont on attend 15 000/20 000 €. Il impressionnera par son diadème couronné de cinq serpents, d’où s’échappent des volutes et ses multiples visages ; du haut de ses 97 cm, le génie des pluies et protecteur des richesses brandit une hampe terminée par une arme puissante, le vajra «diamant» en sanskrit , afin d’invoquer l’ondée fertilisante. À ses côtés, venue du Japon du XVIIIe siècle, une peinture de l’époque d’Edo aux belles couleurs et rehauts or sur papier représente le Taima Mandala. Ce type de mandala bouddhique est l’un des plus anciens au Japon. Ces diagrammes sacrés du cosmos présentent une iconographie fondée sur le Kammuryôjukyô, le «sutra des contemplations», figurant le paradis de la Terre pure de l’Ouest, où préside le bouddha Amitâbha, entouré de bodhisattvas. Autres destinations possibles, le Vietnam, grâce notamment à une Scène galante par le peintre moderne Vu Cao Dam, présentée à 10 000/20 000 € chez Leclere le 14 juin, ou encore l’Inde avec une représentation de Vishnou de la période médiévale, Xe-XIIIe siècle, sur une stèle en grès gris, à 2 000/3 000 € chez Pescheteau-Badin le 14 juin. Un voyage sans fin.