Des divinités redoutées et du masque cérémoniel aux personnages de la vie de tous les jours, ces œuvres précolombiennes proposées à Drouot proviennent d’une grande collection new-yorkaise.
Alexandre Giquello reprend, avec cette vente, la dispersion d’une partie de la collection des civilisations d’Amérique centrale et du Sud formée par un amateur new-yorkais disparu il y a treize ans. L’ensemble formé par cet esprit attentionné, qui savait s’entourer des conseils de spécialistes, s’est étendu aussi bien à la peinture qu’aux arts d’Océanie, d’Afrique ou d’Extrême-Orient. Mais son attraction pour les cultures précolombiennes a été particulièrement marquée, avec une inclination, dont témoigne cette vacation, pour celle des Olmèques qui a duré de 1200 à 400 avant notre ère. «Le marché précolombien est encore bien plus ouvert que celui des arts africains. Il est donc possible d’acquérir des œuvres capitales, mais aussi des objets plus modestes pour quelques milliers d’euros, qui ont été choisis avec autant d’exigence et de soin», fait observer l’expert Jacques Blazy, dont l’un des critères de choix pour cette vente d’objets est la sensibilité esthétique. Plusieurs œuvres sont ainsi passées par des collections prestigieuses de la côte est avant de se retrouver exposées dans de grands musées, dont le Metropolitan de New York. Une dizaine a figuré parmi les 250 pièces de l’exposition de référence sur la culture olmèque montée en 1995 par Michael Coe au musée de l’Université de Princeton, et reprise au musée des beaux-arts de Houston. «Toutes les provenances sont documentées et indiquées au catalogue», souligne Jacques Blazy, en précisant que les ambassades des pays concernés ainsi que, par surcroît de précaution, l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels sont informés à l’avance de cet échantillonnage. Alexandre Giquello a déjà dispersé deux sélections de pièces de la collection, qui ont rencontré un beau succès en totalisant 5,5 M€ de résultats. On retrouve dans les quatre-vingts lots aujourd’hui mis en vente cette beauté des formes et, souvent, cette férocité des figures qui peuplent une cosmogonie extraordinairement complexe.
Masque en bois
Mais la vacation débute sous des auspices plus paisibles par des représentations moins redoutables. Ainsi de ce palmipède de la culture chorrera qui figure drôlement la patte en l’air (estimé 10 000/12 000€), parmi les premiers lots en céramique issus de l’Équateur. Ils précèdent une œuvre beaucoup plus importante, un masque funéraire mochica du nord du Pérou, de la période dite «intermédiaire ancien» (100-700). Cette pièce (200 000/300 000 €), colorée de rouge, faisait partie de la collection du docteur Guy Dulon vendue par Sotheby’s à New York en 1992. Elle est exceptionnelle puisqu’elle constitue l’un des rarissimes témoignages en bois à avoir survécu depuis une époque aussi ancienne (voir Gazette n° 19, page 6). Elle suit un masque funéraire anthropomorphe en cuivre et en argent assez impressionnant, couvert d’une coiffe imitant une pieuvre (40 0000/50 000 €) et un pectoral circulaire en argent repoussé (50 000/60 000 €), au décor particulièrement riche, dont il n’existerait qu’une dizaine d’exemplaires similaires au monde. Une tête d’homme entourée de serpents stylisés, taillé dans une stèle, dont on ignore la signification (60 000/80 000 €), est issue de la culture pucara, née sur le plateau du lac Titicaca. La civilisation olmèque se retrouve notamment dans la figurine agenouillée en stéatite vert noir, représentant le dieu de la pluie Chaak, de la culture izapa, datant de l’époque dite proto-classique (300 av. - 300 apr. J.-C.), qui a été publié dans maints ouvrages de référence (20 000/25 000 €) ou dans un masque (900-400 av. J.-C.) de l’État du Guerrero, en serpentine verte (70 000/90 000 €). Encore plus expressif, de la même époque, est cet autre masque représentant un homme en voie de se transformer en jaguar (50 000/60 000 €). Exceptionnel par sa dimension, près d’un demi-mètre, est ce personnage grimaçant, de la même période, venu du Guerrero, en serpentine (200 000/300 000 €). Particulièrement redouté, le félin se retrouve représenté sous une forme plus naïve dans un grand récipient taillé dans la serpentine(pré-classique dit moyen, 1200-900 av. J.-C.), qui est unique par sa taille, de près de 90 cm de long. Venu du site de Xochipala, dans le Guerrero, il a été publié par Michel Graulich et Lin Crocker dans leur ouvrage sur les chefs-d’œuvre inédits de l’art précolombien, alors qu’il se trouvait dans la collection de Ronald et Lyn Gilbert, à New York (250 000/300 000 €). Il devait servir de coupe de libation, peut-être pour des décoctions médicamenteuses ou psychotropes. Une autre coupe, en céramique cette fois, figure un dieu du feu symbolisé en vieillard, de la culture Teotihuacán (50 000/60 000€). Aux formes beaucoup plus géométriques, une manopla de la culture Veracruz la représentation en pierre d’une sorte de cadenas utilisé dans les harnachements pour les jeux rituels de balle , qui pouvait être enterrée dans la tombe d’une personnalité (40 000/50 000€), s’est trouvée dans la collection de Chicago de Robert et Mary Koenig. Une «hache», faisant référence aux mêmes joutes, provenant de la collection américaine de Jay Leff, est stylisée en forme de tête humaine (50 000/60 000 €). De la culture mixtèque, une ornementation en or portée à la lèvre (une sorte de piercing de l’époque, en bien plus élaboré), représentant le dieu aztèque du vent (et annonciateur de la pluie), Ehecatl, est aussi très rare, puisque cette orfèvrerie n’a guère survécu à l’avidité des conquérants espagnols (25 000/30 000 €).
Musiciens
Très représentative du naturalisme cultivé du VIIe au IXe siècle à Jaina, du nom d’une île qui a abrité un centre religieux et funéraire maya, se trouve un couple, qui a été exposé et publié plusieurs fois, représentant la déesse de la lune et son compagnon (100 000/120 000 €). On a l’impression qu’il est train de danser, et il est assez rare de trouver des couples parmi les figurines qui font la caractéristique de ce style. Un vase maya (60 000/80 000 €) est particulièrement riche par son iconographie, qui se déroule autour d’un personnage assis sur son trône, devant lequel se produisent des musiciens. Comme en écho, un vase au couvercle en forme de tortue (10 000/12 000 €), dont la carapace servait en fait de tambour que les musiciens frappaient avec des bois de cervidé.