Topographe pour l’armée, il entre en 1763 au service du duc d’Orléans. C’est en fin observateur qu’il reproduit la physionomie et le caractère de ses modèles.
Le rouge éclatant du costume brodé d’or d’un artiste assis devant un guéridon de modèle néoclassique attire le regard. Élégant avec ses bas de soie blanche et ses cheveux poudrés retenus par un grand nœud noir, il regarde un personnage appuyé nonchalamment à une colonne, revêtu d’un habit aux parements brodés de larges bandes or. Il tient de sa main droite un bicorne d’un noir profond. Son attitude distinguée, son air détaché et quelque peu hautain révèlent un aristocrate. Une annotation sur le montage de cette aquarelle de Carmontelle révèle que le dessinateur n’est autre que Vivant Denon dressant le portrait du chevalier de Cossé, soit Louis-Hercule-Timoléon de Cossé-Brissac (1734-1792), gouverneur de Paris de 1775 à 1791. L’expression du libertin, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, ensuite chargé de missions en Russie, en Suisse et à Naples, et futur directeur du musée Napoléon (actuel Louvre), indique tout son plaisir de se retrouver en si bonne compagnie, la même que fréquentait Carmontelle chez les princes d’Orléans. Les deux modèles étaient connus pour leur goût du livre et de la peinture, encore à un niveau modeste chez Vivant Denon. Toutes ces nuances sont finement rendues par Carmontelle dans le même schéma qu’il emploie pour ses multiples portraits, dont quelque 750 figurent dans sa vente après-décès. Il place le plus souvent les personnages de profil et seul la composition en regroupe très rarement plus de trois ; ceux-ci sont représentés en pied, debout ou assis, dans un intérieur ouvert sur un parc ou en extérieur, sur une terrasse à colonnades. Carmontelle réalise ses portraits, fort ressemblants, en peu de temps, moins de deux heures. Il note avec minutie les costumes et les perruques éléments significatifs du rang des modèles et les tendances de la mode, de préférence féminine, se focalisant aussi sur la posture du corps et les traits du visage. Pour cette aquarelle, l’artiste a fait poser les modèles séparément, comme l’indique la feuille sur laquelle est brossé le chevalier de Cossé, amant de la comtesse du Barry, qu’il défendit loyalement tout comme le roi , raboutée à l’autre feuille pour intégrer sa figure dans la composition. Grimm note à propos de son art : «Il a le talent de saisir singulièrement l’air, le maintien, l’esprit de la figure. Il m’arrive chaque jour de reconnaître des gens que je n’ai vus qu’en ces recueils.» Cossé arrêté, puis emprisonné à Orléans, fut abattu lors de son transfert à Versailles ; sa tête fut jetée dans le salon de Madame du Barry. Carmontelle et Vivant Denon survécurent, quant à eux, aux heures sombres de la Terreur.