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GemGenève 2018 : comment (bien) lancer sa foire

Publié le , par Anna Aznaour

Deux marchands de pierres précieuses ont créé leur salon international de haute joaillerie dans la cité de Calvin, avec un succès qui dépasse leurs espérances.

Le collier de Grégoire Maret avec la nouvelle pierre Rose de mine, et trois ors. GemGenève 2018 : comment (bien) lancer sa foire
Le collier de Grégoire Maret avec la nouvelle pierre Rose de mine, et trois ors.


Les organisateurs de salons professionnels ont généralement une longue liste de demandes provenant d’exposants qu’ils n’arrivent pas toujours à satisfaire. Et pour cause, le langage et les intérêts des uns et des autres ne sont pas forcément les mêmes. En partant de ce constat, Thomas Faerber et Ronny Totah, marchands genevois de pierres précieuses, créent leur propre foire. Inaugurée le 10 mai dernier, la manifestation dédiée aux gemmes rassemble, pendant quatre jours, près de 5 000 visiteurs provenant du monde entier. «Déçus en bien», comme disent les Helvètes, ses fondateurs, qui y ont exposé également, n’en attendaient qu’un petit millier. Et ce, malgré une organisation réglée comme une partition de musique. Sans fausse note et avec la maîtrise parfaite de ses trois clés : le timing, le suspense et le scoop ! Programmée en mai, entre les ventes aux enchères genevoises de Sotheby’s et de Christie’s, la nouvelle-née GemGenève ne pouvait, raisonnablement, pas manquer sa clientèle cible déjà sur place. «Faire un seul voyage pour assister à plusieurs événements phares est très commode pour des professionnels qui, en l’espace d’une dizaine de jours, pouvaient multiplier les rencontres et les contacts utiles», souligne la gemmologue Antoinette Starkey, enchantée par le salon et par la soirée sur invitation, réservée à une brochette de VIP. Mais cette programmation avait encore une autre ambition : celle de «former un tryptique avec les mastodontes du secteur comme le Salon international de la haute horlogerie, qui se tient toujours en janvier, et celui de la haute précision horlogère, médicale et microtechnologique, qui se déroule en juin», explique Thomas Faerber. Hommage que ce patron dont l’entreprise est présente à Paris, New York, Anvers et Hong Kong rend à Genève, ville qu’il a préférée à Zurich. Il faut dire que la minuscule cité 300 000 habitants, moustiques y compris  est en réalité une pépinière de jeunes talents, en plus d’être un centre de négoce international.
Concours de créativité
Quelques semaines avant l’ouverture de la foire, les étudiants de la Haute École d’art et de design de Genève ont été priés d’imaginer et de créer individuellement une collection de trois pièces, qui présenterait les perles de la maison Yoko London de manière innovante. Invités au salon, les élèves y découvrent qu’en réalité ils ont participé à un concours de créativité. Camille Combremont, la grande gagnante, de 21 ans et dont le bracelet a fait un tabac, confie : «Je suis en pleins pourparlers avec la marque autour des modalités de notre future collaboration.» Mettre en avant les jeunes talents et, ainsi, s’assurer une solide couverture de la manifestation sur les réseaux sociaux a été l’autre stratégie des organisateurs, fermement décidés à marquer les esprits. Et pour ce faire, ils ont conçu le salon sous forme de labyrinthe, avec de grandes allées et une répartition savamment diversifiée de leurs 147 exposants. Une politique visuelle ingénieuse pour éviter l’ennui au public, qui autrement déambulerait, par exemple, entre les stands de diamantaires qui soit se suivent, soit s’affrontent dans un face-à-face du type western. Alors que passer d’une vitrine de gemmes à une autre de bijoux anciens, puis modernes, etc., s’apparentait à une sorte de chasse au trésor avec de nouvelles découvertes dans chaque recoin. «À travers les bijoux de différentes époques, exposés dans ce salon, les jeunes peuvent se familiariser avec l’histoire de la création autrement que par les livres», note pour sa part l’enseignante Emmanuelle Garcia-Gavillet, venue avec ses étudiants du Centre de formation professionnelle pour les arts. Ces derniers ont par ailleurs été ébahis, comme tout le public, par la «Rose de mine».
Unique pierre suisse
Sur l’ensemble des mille et une merveilles du salon, celle qui a créé le vrai buzz était une toute nouvelle gemme née il y a… cinquante ans ! Pierre 100 % suisse, ce calcite cobaltifère a été découvert dans d’anciennes mines de charbon du canton de Valais par un spéléologue amateur. Le minéral s’est formé dans les parties creuses des galeries, actuellement fermées. Intrigué par sa trouvaille, l’homme la montre à Grégoire Maret, un copain bijoutier, qui l’adopte tout de suite. Avec ces rares spécimens dont il a l’exclusivité, Grégoire crée une collection de bijoux. Et aussi sa marque, Pierre d’Alexis. «La qualité de cette gemme, que j’ai appelée “Rose de mine”, est exceptionnelle de par sa dureté et par sa couleur, qui inclut des tons allant de lilas à saumon», explique ce professionnel qui a présenté au salon son collier baptisé «L’Inattendue». Vivement intéressés par le minéral, des laboratoires de renom travaillent actuellement sur la certification de cette unique pierre suisse, formée par l’activité humaine et non pas par la nature. «Les découvertes de ce type sont très inspirantes pour nous, et les présenter dans un salon comme celui-ci peut booster les ventes d’autres gemmes proposées par les exposants, car une idée en fait souvent naître une autre», souligne André Perrin, le président de l’Association romande des métiers de la bijouterie. En attendant les buzz à venir, les organisateurs s’activent déjà autour de l’édition 2019 de GemGenève. Son défi majeur : «Arriver à limiter le nombre de stands à 200 au maximum», révèle Ronny Totah. Or, les demandes de participation sont très nombreuses, car les exposants choisis, triés sur le volet, sont assurés d’y faire de bonnes affaires. Comme Alexander Leuenberger, marchand suisse de pierres, pour qui ce succès est avant tout celui de la reconnaissance de sa réputation, irréprochable.