À la fin de l’Ancien Régime, la soie française est convoitée et largement exportée. Lyon règne en maître, mais les mousselines de coton remplacent bientôt les façonnés, et le papier peint les soies tendues. L’industrie soyeuse doit désormais nuancer ses qualités de production.
Les dernières années du règne de Marie-Antoinette et celles de la Révolution ont en commun leur désamour pour la soie. Celui-ci sera de courte durée : considérant les impérieuses nécessités économiques du pays, Bonaparte compte sur l’inconstance de la mode pour appuyer la reprise de la Fabrique lyonnaise, la corporation réunissant les manufactures de l’ancienne capitale des Gaules. Il les soutient encore après son couronnement : le vêtement d’apparat et les incessantes commandes pour orner et meubler les demeures impériales de France, puis d’Europe, font chanter les milliers de métiers tissant soies unies ou luxueux façonnés. La production et les exportations ne cessent decroître et en quelques décennies, Lyon s’empare du titre envié de capitale mondiale de la soie. Ce sont d’abord les motifs Empire, soigneusement compartimentés, qui animent les étoffes, et les fleurs dominent toujours. La classe leur étant consacrée à l’école des beaux-arts de Lyon depuis 1807 participe d’ailleurs au maintien de la production des grands façonnés. Quant à la palette, elle est d’une étonnante fraîcheur : pêche, vert tendre, jaune safran ou bleu céruléen sont magnifiés par le précieux fil, travaillé en différentes armures comme le brocart, le velours ou encore le damas. En 1815, les prodigieuses commandes impériales laissent plus de 600 000 mètres de soieries lyonnaises inutilisées, principalement tissées par Camille Pernon puis Grand frères, et lèguent à la postérité une innovation révolutionnaire : le métier Jacquard.
À l’aube de l’industrialisation
S’appuyant sur les avancées ingénieuses de Vaucanson et de Philippe de Lasalle — l’inventeur des cartons perforés permettant une programmation du motif —, Joseph-Marie Jacquard (1752-1834) parvient à automatiser les métiers à la grande tire. Il est désormais possible de tisser plus facilement et plus rapidement les façonnés – dont les largeurs de 90 cm pour l’habillement et de 130 pour l’ameublement sont les plus courantes – ou de reproduire, en soie noir et blanc, les tableaux des peintres à la mode. Ce mauvais présage mécanique inquiète à raison les canuts. À partir de la Restauration, le métier Jacquard n’exige plus qu’un seul tisseur, qui craint de ne bientôt devenir qu’un simple ouvrier – ce qui ne manque pas d’advenir dans les années 1870. Le nouveau métier est d’ailleurs adopté partout dans les villes où la production avait ralenti, comme à Tours, où la maison Le Manach, fondée en 1829, se spécialise dans le haut de gamme et travaille encore aujourd’hui pour le Mobilier national. Malgré tout, produire des façonnés reste onéreux, et les modèles les plus complexes exigent encore de recourir au métier à bras. Ce sont alors de nouvelles innovations qui œuvrent à l’ouverture d’un plus large marché pour la soie. L’impression sur chaîne, effectuée lors même du tissage – souvent de taffetas –, apparaît en 1820 et séduit immédiatement une clientèle bourgeoise convoitant l’opulence des grands façonnés de l’Ancien Régime et de l’Empire.