Succès attendu et confirmé pour cet ensemble rare et savamment choisi
Voici une vente qui donnait le sourire à tous les habitués de Drouot. Lors des deux journées d’exposition, tous étaient venus pour admirer les objets d’art de haute volée ayant été réunis par Jacques Malatier (1926-2017). L’esprit d’érudition et le goût qui avaient guidé cette constitution se retrouvaient dans le résultat final : 3,2 M€ et 94 % de lots vendus. Éric Turquin l’avait pressentie comme une œuvre majeure du néoclassicisme français. De fait, il fallait batailler jusqu’à 505 600 € pour emporter la grande composition de Jean-Charles Nicaise Perrin (1754-1831), Hector dans le palais d’Hélène, reprochant à Pâris sa lâcheté et lui annonçant le combat singulier (reproduite page 98). Tout dans cette toile trahissait la théâtralité antique, de la majesté d’Hector prêt pour le combat, seul face à son frère passif, au groupe de femmes inquiètes devant le danger. La scène est issue d’un chant de l’Iliade d’Homère, et la suite est connue… Perrin, reçu à l’Académie en 1787, expose régulièrement au Salon de par son titre, cette œuvre fut certainement présentée à celui de 1808, sous le n° 466 et l’intitulé Hector reprochant à Pâris son inaction mais est relativement rare aux enchères : vingt-trois peintures signées de ou attribuées à l’artiste seulement sont référencées sur Artnet. Celle-ci recevait un record mondial, bien loin au-dessus du précédent, établi à 72 000 € par La Mort de Sénèque, le 16 novembre 2006 (Christie’s Amsterdam). Le chapitre des tableaux anciens caracolait en tête, voyant se distinguer ensuite à 164 320 € La Pêche (reproduite ci-dessous), une toile de Charles Joseph Natoire (1700-1777), provenant certainement de la petite salle à manger du roi à Fontainebleau. Un tout autre genre puisqu’il était question cette fois d’une charmante décoration, au style enlevé, caractéristique des meilleures productions du XVIIIe siècle.
Une grande cohérence
De XVIIIe siècle, ainsi qu’il avait été relevé, il était longuement question. Grâce aux dessins, tout d’abord, généreusement récompensés. Parmi les plus belles feuilles, le pastel de Joseph Vivien (1657-1734) représentant Charles Albert prince électeur de Bavière, baisant la main de son père, un monument de piété filiale exécuté vers 1726 et retenu à 30 336 €, une Figure féminine drapée portant une urne ou un objet de George Romney (1734-1802), dont lady Hamilton serait le modèle présumé et complimentée de 48 032 €, ou encore, recevant à ses pieds palmés 37 920 €, un canard d’Égypte (53 x 38 cm) de Jacques Barraband (1767-1809) du plus bel orange. Il est impossible de ne pas relever ensuite les 49 296 € reçus par le Portrait d’un homme en buste accoudé sur son menton, attribué à Jacques Stella (1596-1657), qui faisait l’ouverture de l’«Événement» ci-dessus cité. Ils étaient talonnés par les 45 504 € d’une scène intimiste, Intérieur de la marquise d’Osmond en train de peindre, de l’un des spécialistes de ce type d’œuvres au premier tiers du XIXe siècle, Hilaire Thierry. Cette aquarelle avait participé à l’exposition de référence de l’automne 1991 au Grand Palais, «Un âge d’or des arts décoratifs, 1814-1848».
Le goût des objets
Très logiquement, ces ensembles, constitués au fil d’une vie de découvertes et de rencontres, contiennent quelques pépites inattendues. Il en était ainsi d’un dodécaèdre, un objet en bronze d’époque romaine (IIe-IIIe siècle) dont une centaine d’exemplaires auraient été excavés à ce jour. Or, malgré les études, leur utilité n’a pas encore été démontrée avec certitude, certains scientifiques penchant pour un instrument de mesure utilisé par les armées sur les champs de bataille pour évaluer la distance les séparant de l’ennemi… Aucun doute en revanche quant au résultat de celui-ci : 58 144 €. Deux lots plus loin, c’était au tour d’un pichet en grès de Raeren, daté 1604, de surprendre. Décoré sur sa panse d’armoiries et de profils d’empereurs germaniques, il retenait 50 560 €… et ouvrait la voie de la réussite pour les œuvres céramiques du XVIIIe siècle, l’un des temps forts et quant à elles, attendues ! 69 520 € récompensaient un vase pot-pourri en porcelaine tendre de Saint-Cloud vers 1695-1700, au décor inspiré des Grandes Grotesques publiées par Jacques Androuet du Cerceau en 1566, 58 144 € pleuvant sur le très original grand seau à laver les pieds en sèvres, d’époque Empire, et 40 448 € emplissant, une verseuse en blanc de Chine montée en argent à Paris vers 1720. Mais la palme revenait logiquement à un chou : 82 480 € et une préemption de la Cité de la céramique - Sèvres et Limoges venaient doublement honorer ce broc «Roussel» et sa jatte ovale, réalisés en 1766 et offrant un motif rare de feuilles de chou bleu. Céleste ! Place aux objets d’art. Deux vases en porphyre d’Égypte, taillés à Rome au milieu du XVIIe siècle, posaient le décor à 65 728 €. À leurs côtés, une console en bois doré rocaille (39 184 €), attribuée au sculpteur Jacques Verberckt (1704-1771), deux encoignures en satiné du plus élégant effet, attribuées à Oeben (1721-1763) vers 1765-1770 et provenant du château de Chanteloup (30 336 €), une paire de chenets en bronze doré d’époque Louis XVI (27 808 €) et encore, décroché à 82 160 €, un lustre en bronze patiné et doré retenant six thyrses entrecroisés (reproduit ci-contre) : un travail pétersbourgeois du début du XIXe siècle attribué à Jean-Pierre de Lancry, un artisan français installé en Russie pour répondre à la forte appétence de la clientèle locale pour le style de son pays. C’était bien à une rare promenade dans la grande création européenne des XVIIIe et XIXe siècles que cette collection invitait. Un plaisir rare, qui n’était pas boudé.