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Et la publicité s’anima…

Publié le , par Caroline Legrand
Vente le 12 mars 2020 - 14:00 (CET) - Salle 9 - Hôtel Drouot - 75009

Une rare collection d’automates publicitaires nous renvoie avec humour et nostalgie aux prémices de notre société moderne. Une époque où la réclame et l’invention vivaient leur lune de miel.

Fabricant inconnu, Suisse, fin des années 1950. Cailler chocolat, présentoir automate... Et la publicité s’anima…
Fabricant inconnu, Suisse, fin des années 1950. Cailler chocolat, présentoir automate de vitrine en résine peinte, électromécanique 110 volts, mouvements produits par un petit moteur rotatif entraînant des tringles et des rouages, avec sa caisse originale, 93 61 29 cm.
Estimation : 2 000/2 500 

En décembre dernier, petits et grands se sont une nouvelle fois pressés par milliers devant les vitrines des grands magasins à Paris ; chacun était impatient de découvrir les nouvelles créations animées choisies pour illustrer les fêtes de Noël. L’abeille régnait en reine dans cette scénographie en mouvement et musique à la gloire de nos pollinisatrices en péril, bourdonnant de plaisir dans les tableaux créés par les plus grandes marques françaises de luxe. Nés dans ces mêmes vitrines au début du XXe siècle, les automates publicitaires émerveillent toujours autant le public. Rien d’étonnant de les voir aussi à l’honneur à l’Hôtel Drouot. D’autant que cette collection de cent vingt lots, comprenant une centaine de modèles différents – estimés de 300/400 €, pour des exemplaires des années 1960, à 000/8 000 € pour les plus beaux spécimens en bois découpé peint des années 1930, comme Passe-Vite de la maison Betterway –, est tout à fait exceptionnelle. «Cela fait une quinzaine d’années que je n’ai pas vu un tel ensemble en vente», précise Michel Roudillon. L’expert sait de quoi il parle, puisque les deux collectionneurs parisiens s’étaient adressés à lui, à la fin des années 1990, pour être aidés dans leurs choix d’acquisition. Une quête qui dura dix années, et s’achèvera par une exposition organisée durant l’été 2008 au Nouveau Musée national de Monaco, «Automates de pub». Ces passionnés avaient dans l’idée de créer une structure afin d’accueillir leur ensemble, mais, faute de moyens et de soutiens, le projet fut abandonné. Unique est ainsi l’opportunité donnée aux amateurs d’acquérir ces raretés. En effet, «ces objets ont presque totalement disparu ; ils n’existent encore qu’à un ou deux exemplaires, parfois, car leur vie fonctionnelle n’avait que peu de valeur et ils étaient jetés immédiatement après leur prestation», explique encore notre expert. Vous l’aurez compris, si le goût pour cet art publicitaire existe bel et bien, le passage sur le marché de tels artefacts est rare. Le dernier grand rendez-vous en date était la dispersion à Drouot de la collection Cotinat d’objets liés à la pharmacie, le 8 décembre 2017 (Artcurial OVV), comprenant vingt-deux automates publicitaires. Tous trouvaient preneur et les estimations étaient largement dépassées : 12 760 € étaient requis pour l’automate Valda à la voiture Il court porter le bon remède, et 9 570 € pour celui du savon Cadum Pour l’hygiène et la beauté de la peau. Un bon augure pour des modèles également présentés le 12 mars prochain.
 

Dans le Paris du baron Haussmann
Si la première publicité fut officiellement publiée en 1836 par Émile Girardin, dans son journal La Presse, cette nouvelle forme de communication, de diffusion commerciale au grand public — et non plus à la seule clientèle de proximité —, s’est développée dans la seconde moitié du XIXe siècle, en plein cœur de la révolution industrielle. Les nombreuses inventions scientifiques – grâce à la maîtrise de nouveaux matériaux, mais aussi à la généralisation de l’électricité, avec des usines installées au cœur même de la capitale (la première datant de 1878 et éclairant l’avenue de l’Opéra) – permettront la production en série et l’ouverture de grands magasins. Le Bon Marché d’Aristide Boucicaut ouvre ses portes en 1852, suivi par La Samaritaine et le Printemps en 1865. Ils sont approvisionnés en quantité, via un réseau de chemin de fer toujours plus étendu. L’histoire des automates publicitaires est ainsi intimement liée à la naissance de ces grands magasins, mais aussi avec les travaux de modernisation de la capitale. Lorsque le baron Haussmann décide, en 1850, de la percée de boulevards, il prévoit également de larges trottoirs et de belles devantures, que les promeneurs peuvent désormais arpenter et admirer en toute tranquillité. La concurrence devient dès lors effrénée pour attirer l’attention, et les vitrines se transforment en un véritable spectacle urbain. La première grande animation est à mettre à l’actif de Gaston Decamps, directeur de Roullet-Decamps, qui crée en 1909 pour le Bon Marché un véritable ballet d’automates sur le thème de la découverte du pôle Nord par Robert Peary — le sujet dont tout le monde parle cette année-là. Depuis la loi sur la liberté d’afficher et sur le conditionnement des produits, votée en 1881, les supports publicitaires n’ont cessé de se diversifier et de se développer. Une nouvelle société était née, résumée par ces quelques mots donnés par Émile Zola, en 1883, à Octave Mouret, le fondateur du grand magasin Au bonheur des dames : «On vend ce qu’on veut, lorsque l’on sait vendre ! Notre triomphe est là.»
Automate Betterway, France, fin des années 1930. Savon Cadum,présentoir automate de vitrine en bois découpé peint à mécanisme électromécan
Automate Betterway, France, fin des années 1930. Savon Cadum, présentoir automate de vitrine en bois découpé peint à mécanisme électromécanique 110 volts, mouvements entraînés par un petit moteur électrique avec poulies et courroies, 58 63 28 cm.
Estimation : 5 000/6 000 

Une révolution commerciale
L’art publicitaire a toujours eu son public, mais celui-ci a évolué au cours des dernières années. Les automates ne sont plus seulement considérés comme des pièces amusantes au charme suranné, mais comme de véritables objets de collection, symbolisant une époque et une culture que l’on cherche à se réapproprier. «Les collectionneurs, qui peuvent être français, belges, hollandais, allemands ou italiens, sont généralement désireux de se rapprocher de cet univers populaire, d’en acquérir une petite part», constate notre expert. Des objets et des images qui appartiennent à la mémoire collective, ayant participé dès la fin du XIX
e siècle aux origines de la publicité, mais aussi à la création d’une nouvelle société industrielle et commerciale. La réclame ! Tout un art, qui affute déjà ses armes et sait utiliser les inventions modernes, qu’elles soient mécaniques ou électriques. En témoigne le plus ancien automate de cette collection, Les talons caoutchouc sont les plus durables, réalisé pour la marque Wood Milne vers 1900 par l’imprimerie Chambrelent : une femme munie d’un marteau tape sur une rondelle métallique dans cette publicité sonore pour un cordonnier (800/1 000 €). Fortes de leur volonté de toucher un public de plus en plus large, les marques se sont tournées vers différents médiums, comme les affiches ou les plaques émaillées, mais aussi les automates conçus au départ pour animer durant les périodes de fêtes les vitrines des tout nouveaux grands magasins, avant d’envahir les devantures des commerçants pour permettre à ces derniers de se distinguer des concurrents et d’attirer de nouveaux clients avec une politique commerciale plus énergique, agressive dirait-on aujourd’hui. Et ces «spots publicitaires avant l’heure», comme les appelle Michel Roudillon, ont largement atteint leur objectif. Pourtant, à l’origine de ces automates, on ne trouve pas une grande entreprise commerciale, mais les très inventifs fabricants de poupées, qui ont le vent en poupe en ce début de XXe siècle.

Véritables petits théâtres, ces belles mécaniques fonctionnent pour la plupart encore
Decamps, Paris, années 1930, Optique médicale, présentoir automate de vitrine en bois et métal découpé peint,mécanisme électrique 110 volt
Decamps, Paris, années 1930, Optique médicale, présentoir automate de vitrine en bois et métal découpé peint, mécanisme électrique 110 volts, mouvement de balancier effectué par un contact au mercure, 41,5 55 13 cm.
Estimation : 1 500/2 000 


Un jouet et un objet publicitaire
Un tiers des objets animés sont ainsi confectionnés par des fabricants de poupées et jouets automates. La marque Decamps sera ici remarquée avec l’automate Optique médicale, dans lequel un ophtalmologiste interpelle un homme lisant avec difficulté son journal et proclame que «La vue est ce que vous avez de plus précieux» (1 500/2 000 €), celle des Jouets Automates Français (JAF), repreneur des maisons Triboulet, y étant représentée par cinq modèles, dont un pour La Vache qui rit, attendu à 1 200/1 500 €. Le XX
e siècle verra éclore de nouvelles entreprises consacrées à cette très prolifique production d’automates publicitaires, comme l’helvétique Betterway, également basée à Vienne, qui livrera quelques productions d’anthologie, comme celle pour le presse purée Passe-Vite, inventé par Victor Simon en 1928 : décrivant une mère et sa fille en cuisine, la scène s’inspire des poupées de l’artiste surréaliste suisse Sophie Taeuber-Arp et des compositions géométriques de Fernand Léger (6 000/8 000 €). Véritables petits théâtres, ces belles mécaniques se devaient de fonctionner parfaitement – et c’est encore le cas. Ainsi, 60 % des automates de cette collection sont en état de marche, les autres, s’ils nécessitent une révision, étant réparables (l’état exact de chaque lot sera donné au moment de la vente). Ces témoins d’une époque de progrès économique et social appartiennent aussi au patrimoine industriel national, que d’ailleurs plusieurs marques mythiques françaises essaient aujourd’hui de préserver, en créant des fondations ou des musées, comme c’est le cas pour La Vache qui rit, Lustucru, Perrier ou Michelin… Mais leur cote d’amour en appelle également à des sentiments bien plus profonds, à la douce nostalgie d’un monde disparu dans lequel tout était encore possible, où les inventions industrielles apportaient joie et amélioration du confort de vie. À une époque pas si facile, bientôt marquée par les guerres et la récession, ils fascinaient leurs contemporains, les faisant même rêver avec de véritables histoires, à l’image du bateau voguant sur les flots ou de la voiture rutilante pilotés par le docteur Valda vantant ses pastilles (deux fabrications de la maison Courtin, vers 1930, annoncées à 3 000/4 000 € et 6 000/8 000 €). Les automates publicitaires ont réussi à créer un véritable lien avec le public. Ces figures rassurantes qui incarnaient les valeurs prônées par leur marque sont devenues des personnages iconiques. Et le marketing fut.

 

Betterway, Belgique, années 1930. Passe-Vite, présentoir automate de vitrine en bois découpé peint, mécanisme électromécanique 110 volts,
Betterway, Belgique, années 1930. Passe-Vite, présentoir automate de vitrine en bois découpé peint, mécanisme électromécanique 110 volts, 80 61 31 cm.
Estimation : 6 000/8 000 
Courtin, Paris, France, vers 1930. Pastilles Valda pour vous préserver, pour vous soigner, présentoir automate de vitrine en métal plié pe
Courtin, Paris, France, vers 1930. Pastilles Valda pour vous préserver, pour vous soigner, présentoir automate de vitrine en métal plié peint, sérigraphié sur cadre de bois à mécanisme, impression sur métaux par l’Alutol, 74 85 20 cm.
Estimation : 3 000/4 000 









à savoir
Automates publicitaires
Jeudi 12 mars, salle 9 - Drouot-Richelieu
Auction Art Rémy Le Fur & Associés OVV. M. Roudillon.

à lire
Daniel Bordet, Les 100 Plus Belles Images des automates publicitaires,
95 pages, éditions Dabecom, 2005.

jeudi 12 mars 2020 - 14:00 (CET) -
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