Cette gourde d’époque Qianlong s’inspire de traditions séculaires pour célébrer le pouvoir de l’empereur de Chine.
Les yeux écarquillés sous de menaçants sourcils froncés et la gueule grande ouverte, écartant largement les pattes et déployant ses griffes, ce dragon particulièrement expressif s’apprête à fondre sur la perle sacrée exauçant les souhaits, comme le ferait un fauve avec sa proie. Sa représentation frontale dite «zheng mian long», apparue au milieu du XVIe siècle et récurrente à l’époque Qianlong (1736-1795), donne même l’impression qu’il pourrait se jeter sur nous… Aucun risque heureusement, l’être surnaturel étant bénéfique en Chine, contrairement à son cousin occidental. En attrapant la perle, qui serait née de la fécondation d’un coquillage par le tonnerre, ce maître de l’eau et du ciel a pour mission de garantir l’équilibre du cosmos, en réalisant la symbiose des éléments. L’animal mythique représente ici un autre fils du ciel : l’empereur lui-même, qualifié de «vrai dragon» ou de «fils du dragon», dont l’unité de l’empire est ainsi métaphoriquement évoquée. Les cinq griffes de celui-ci témoignent de son statut particulier, en le désignant comme l’attribut exclusif de la famille souveraine, alors que ses congénères associées aux dignitaires n’en possèdent que trois ou quatre. Étroitement lié à l’autorité impériale, le dragon est apparu en Chine bien avant qu’elle ne se mette en place – ses origines remonteraient en effet à près de quatre mille ans. Dès l’Antiquité, la découverte de dents et de griffes de dinosaures fossilisés a pu inspirer sa légende. S’il tient de la créature préhistorique, il emprunte certains traits à des espèces bien connues, selon une iconographie qui s’est fixée avec l’arrivée au pouvoir des Han (206 av.-220 apr. J.-C.). De ses écailles à sa crinière, chaque élément de sa physionomie est ici décrit avec un grand luxe de détails. La taille exceptionnelle de l’objet permet d’apprécier la virtuosité du décor peint, qui trouve son écho dans les anses remarquablement travaillées en forme de qilong. Impérial en tous points, le modèle de cette gourde au dragon frontal a inspiré des porcelaines doucai (aux «couleurs contrastées») du XVIIIe siècle. Ainsi la spécialité se renouvelle-t-elle dans le respect des traditions. Chaque dynastie a veillé à assurer leur continuité pour assoir sa légitimité. Ce vase «bianhu» l’illustre parfaitement : il évoque les gourdes en cuir des pèlerins Tang et s’inspire des créations Ming en bleu et blanc. De telles pièces ont souvent été fabriquées en paire durant la seconde moitié du règne de Qianlong. Ce dragon de cobalt pourrait donc avoir un frère…