Gazette Drouot logo print

Henri Paul entend accompagner la réforme

Publié le , par Vincent Noce

Prenant, à 67 ans, sa présidence, au moment même où la refonte du Conseil des ventes volontaires est engagée au Parlement, ce grand commis de l’État ne voit pas l'organisme en «gendarme» du marché de l’art.

Henri Paul© CVV Henri Paul entend accompagner la réforme
Henri Paul
© CVV

L’espoir de voir le projet de loi réformant le Conseil semble désormais reporté à février, au plus tôt. Son contenu peut-il évoluer ?
Il est impossible de le dire. Personne ne sait ce qui va se passer au Parlement. Pour le moment, le texte n’est pas inscrit à l’ordre du jour et nous ne savons pas quand il sera délibéré. Je ne peux pas en dire plus.


Mais la majorité réservée à des professionnels élus semble acquise ; cette évolution vers un ordre professionnel est-elle souhaitable pour un organisme de régulation ?
Rien n’est acquis, à mon avis. Je ne sais pas trop comment ces élections pourraient se tenir, j’avoue, et le bilan des ordres professionnels est plutôt mitigé. Et puis, un ordre professionnel pour six cents personnes, cela n’aurait quand même pas beaucoup de sens, comparé à ceux que je connais bien. En tout cas, la garde des Sceaux a été très claire au Sénat pour écarter un ordre professionnel. Cela me semble une orientation forte.

Le Conseil risque-t-il de perdre en autorité, avec l’amenuisement de ses faibles pouvoirs de discipline ?
Le Conseil des ventes est un organisme de régulation, pas une autorité. Je ne me vois pas comme un Gauleiter du marché de l’art. Ce serait une grande erreur que d’avoir l’idée d’une relation hiérarchique. J’ai la chance d’avoir un conseil extrêmement riche, qui peut discuter très librement. À vrai dire, je ne le vois pas d’abord comme un organisme de discipline. La régulation, ce n’est pas de la discipline. Quand il délivre quatre sanctions par an, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une activité prioritaire. C’est avant tout un organisme déontologique et de bonnes pratiques d’accompagnement de la profession. Il faut arrêter de s’opposer les uns aux autres et plutôt se mettre ensemble pour discuter. Le Conseil doit se mettre à la disposition des opérateurs, sous la réserve de l’intervention du juge.

Quelles peuvent en être les conséquences pratiques ?
Pour ma part, j’ai décidé de ne pas présider les séances du Conseil en formation disciplinaire, comme le permet la loi. C’est la conseillère d’État, Laurence Franceschini, qui jouera ce rôle pour assurer une procédure impartiale et équitable.
 

Le nouveau Conseil des ventes volontaires, de gauche à droite et de haut en bas : Dominique Soinne, Frédéric Castaing, François Tajan, Chr
Le nouveau Conseil des ventes volontaires, de gauche à droite et de haut en bas : Dominique Soinne, Frédéric Castaing, François Tajan, Christian Pers, Henri Paul, Edouard de Lamaze, Cyril Barthalois, Yves Wetterwald, Francoise Benhamou, Sylvie Maunand et Laurence Franceschini.


Votre présence ne le serait-elle pas, impartiale ?
Je suis magistrat, et maintenant avocat. Je suis très attaché aux règles de procédure. Je reçois les plaintes et je les regarde, ce qui peut déjà orienter mon opinion. Je sais bien que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (qui fixe le droit à un procès équitable, même dans le cas de sanctions professionnelles ou disciplinaires, ndlr) n’est pas toujours appliqué rigoureusement, c’est un tort, et son application est d’ailleurs exigée par le juge. Je pense qu’il faut suivre ce principe. Il faut surtout s’efforcer de conforter une profession qui a été très perturbée par la succession de réformes, et aussi laissée un peu à elle-même. Le ministère de la Culture n’a pas pris suffisamment en compte le marché de l’art et celui de la Justice a, et c’est normal, une optique juridique.

Quand les opérateurs écrivent au Conseil, celui-ci ne répond pas toujours…
Il y a des milliers de questions qui se posent et je ferai tout pour apporter les réponses. Je regrette si cela n’a pas toujours été le cas.

Peut-il y avoir des changements dans le budget de fonctionnement, qui a été parfois l’objet de critiques émanant de la profession ?
La quotité des cotisations est arrêtée sur trois ans, donc nous verrons bien. Nous ne vivons pas dans le luxe, comme il a pu être dit. Nos dépenses ne sont pas somptuaires, ces attaques sont un peu datées, il me semble. Les cotisations, qui contribuent pour plus de la moitié au budget, ont été baissées parce que le Conseil disposait d’un «trésor de guerre». On a donc mis le budget en déficit, c’est un peu curieux... Je constate que cette réserve continue de s’éroder. Il faudra donc ajuster notre budget en diminuant les dépenses ou en augmentant les recettes. Avec le conseil, nous chercherons des solutions.

Drouot, qui est la principale place d’échanges, n’est pas représenté du tout au Conseil…
Ce n’est pas moi qui effectue les nominations, comme vous le savez, mais nous discutons avec Drouot, comme avec tout le monde, mon bureau est ouvert.

Et le Conseil n’a pas d’autorité sur les marchands ni même sur les experts, qui sont essentiels aux ventes.
Je vous ai dit combien le mot d’«autorité» me gênait. Je note que les experts sont représentés au Conseil et dans ses réflexions. Nous avons l’honneur d’avoir avec nous Frédéric Castaing, l’un des meilleurs experts, le président d’une Compagnie. C’est très français cela, de couper les gens et leurs problèmes et de les mettre dans des cases séparées, au lieu de les réunir pour discuter. Le marché, c’est tout un monde qui doit travailler ensemble. Vous avez raison, l’expertise est essentielle aux ventes et elle intervient dans tous les dossiers que nous avons à traiter. Elle est une richesse extraordinaire et son apport est essentiel à nos travaux. Avec les galeries et les marchands, la France possède un écosystème qui focntionne plutôt bien. Je crois au mouvement : à partir de ce succès, qui est réel, il faut lancer un mouvement positif, optimiste.

Et quelle pourra être la place du Conseil en 2022, avec l’absorption des commissaires-priseurs dans la nouvelle profession des commissaires de Justice ?
Je crois aux métiers et j’ai regretté que, au ministère de la Culture, ils soient regroupés dans de grandes directions générales. En fait, il y a des métiers, des arts, la danse, le théâtre, la musique, les arts plastiques, et ils sont très différents. Il faut faire attention au respect des métiers. Les commissaires-priseurs sont fantastiques. Ils ont su s’adapter à la société moderne. Je vois aussi le succès que Drouot rencontre dans le développement de nouveaux outils. On ne s’improvise pas commissaire-priseur. Il faudra bien des professionnels formés et compétents pour tenir des inventaires de succession ou d’avant-vente. C’est pourquoi la formation est un enjeu majeur et doit être développée notamment dans les domaines de l’économie et de la vie de l’entreprise. J’aimerais qu’on puisse introduire des modules de formation permanente pour les commissaires-priseurs, peut-être avec l’École supérieure de commerce de Paris, avec laquelle nous travaillons déjà. Vous voyez, le Conseil doit donc continuer à travailler, la pire des choses serait l’immobilisme. Il y a des sujets importants et pressants qui s’imposent à nous.

Lesquels ?
Le Brexit est le premier qui me vient à l’esprit. Il peut intervenir très rapidement et nous n’y sommes pas suffisamment préparés. La place financière en a étudié les conséquences et les adaptations depuis longtemps, mais le marché de l’art, non. Il faut faire des propositions pour attirer le marché vers Paris. Il est dommage que nous nous y prenions si tard et que nous n’ayons pas encore pris le recul qui s’impose pour y réfléchir.

Avec Sotheby’s et Christie’s, représentés dans le Conseil, qui ont les jambes des deux côtés de la Manche ?
Ils ont même les jambes de chaque côté de l’Atlantique ! C’est pourquoi je me réjouis qu’ils soient présents au sein du Conseil et puissent apporter leur pierre à ce débat. J’ai ainsi formé trois commissions de réflexion sur des sujets cruciaux : le marché et son développement, qui devra aborder la question du Brexit, la déontologie, car elle est le pilier de la confiance sur lequel repose le secteur, et la formation, qui est, comme nous l’avons dit, essentielle. Dans l’évolution de nos marchés, il va aussi falloir prendre en compte l’évaluation du GAFI (le groupe d’action chargé de la lutte contre le blanchiment à l’échelle internationale, ndlr), qui est attendue pour le second semestre 2020 et qui devrait particulièrement s’attacher aux secteurs sensibles du commerce du luxe et de l’art, lesquels sont jugés à risque, à tort ou à raison. Il y a un danger de mauvaise notation si nous ne préparons pas correctement l’évaluation.

Les passes d’armes avec Tracfin, c’est fini ?
Nous sommes en contact permanent avec Tracfin, avec lequel nous avons une relation opérationnelle pour rédiger notamment un vade-mecum. Notre objectif est d’éviter d’être mis en cause par l’évaluation. C’est toujours embêtant d’être mal noté.

Un mot sur la composition de vos commissions de réflexion ?
Elles ne comprennent que des membres du Conseil et elles ne sont pas encore formées, mais je peux vous dire que François Tajan a accepté de présider celle portant sur le marché et Édouard de Lamaze pourrait présider aux travaux sur la déontologie. Ils pourront s’associer des experts extérieurs, s’ils le souhaitent.

Les professionnels se plaignent beaucoup des entraves au marché, les nouvelles règles à l’importation, l’ivoire, la fiscalité et notamment la taxe à l’importation… Voyez-vous des marges de manœuvre possibles pour une évolution plus favorable ?
La fiscalité du marché de l’art n’est pas si mauvaise en France. Nous verrons bien s’il y a des opportunités de réflexion, mais la fiscalité est un outil très difficile à manier comme vous le savez, puisqu’il dépend de l’Union. L’enjeu est clair : nous pourrons être la première place d’Europe. Comment faire pour la rendre vivante et plus attractive ? Nous ne devons pas rester l’arme au pied.

Vous vous verriez poursuivre ce mouvement avec le nouveau Conseil qui sortira de la loi ?
Je ne suis pas dans le jeu des nominations. Je suis un homme de bonne volonté. Je ne suis pas rémunéré et, heureusement, je poursuis mon activité dans un cabinet d’avocats, où nous parlons d’ailleurs régulièrement du droit de l’art. Je ne recherche aucun privilège et ce n’est pas une question d’ego.

Henri Paul 
en 6 dates
1980
Auditeur à la Cour des comptes
1986
Directeur des affaires financières de la Région Ile-de-France
1998
Conseiller maître à la Cour des comptes
2004
Directeur du cabinet de Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication
2014
Président de chambre à la Cour des comptes
2018
Avocat à la Cour. UGGC avocats, Paris

 
à savoir
Conseil des ventes volontaires (CVV) 19, avenue de l’Opéra, 75001 Paris.
Réforme adoptée par le Sénat, voir Gazette n° 37, page 38.
www.conseildesventes.fr