Peint avenue du Bois-de-Boulogne au milieu des années 1950, ce tableau reprend les codes qui ont fait le succès du plus parisien des artistes hollandais.
Ils sont nombreux, les artistes néerlandais à avoir fait le choix de la France pour se confronter à la modernité et à la liberté de création, de Jongkind à Mondrian, en passant par Van Gogh. Nul autre cependant que Kees Van Dongen (1877-1968) n’a demandé sa naturalisation. Après la vie de bohème à Montmartre et à Montparnasse, les folles années avec Guus, une désinvolture parfois teintée de provocation, une sensibilité même pour l’anarchisme, il veut devenir un peintre installé. Celui que Picasso surnommait le «Kropotkine du Bateau-Lavoir» pour rappeler sa farouche volonté d’indépendance rentre dans le rang en quelque sorte, sans doute pour participer à cet événement incontournable qu’est le très officiel Salon de la Société nationale des beaux-arts, réservé aux seuls artistes français et berceau des commandes de l’État pour le non moins officiel musée du Luxembourg. Derrière cette mutation, des femmes… C’est à elles qu’il va dédier corps et âme ses portraits, avec une touche fauve, comme une concession au Van Dongen d’avant. Il ne va plus les quitter, leur allure reconnaissable au premier coup d’œil habitant la plupart des œuvres du peintre, des années «cocktail» à la fin de sa vie. Il partage alors celle de Léa Jacob, surnommée Jasmy la Divine par les uns, Jasmy la Terrifiante par les autres et qui l’accompagne dans son nouveau quotidien de star. Il est vrai qu’il excelle dans ces portraits stylisés, qu’ils soient de personnalités célèbres ou d’anonymes, brillamment dessinés en une silhouette longiligne, avec des cheveux coupés à la garçonne, des yeux soulignés de khôl, fumant nonchalamment. Le triomphe immédiat l’autorise à s’installer en 1922 dans un hôtel particulier près de la place Wagram, où il s’offre le luxe d’avoir une salle d’exposition de ses œuvres. Ce sont deux de ces élégantes que l’on retrouve ici quelque trente ans plus tard, comme statufiées au milieu de l’avenue du Bois-de-Boulogne, fixant le peintre d’un regard charbonneux que la presse féminine qualifierait aujourd’hui de «smoky», légèrement vêtues de tenues claires. À n’en pas douter, la journée est belle. Il y a rarement de nuages d’ailleurs dans ses toiles, le ciel bas et lourd de sa Hollande natale étant définitivement oublié. Les enfants sages rentrent d’un après-midi de jeux tandis qu’un fiacre, comme une réminiscence de temps plus anciens, remonte la belle avenue, direction l’arc de Triomphe… difficile de faire plus français que ce symbole de la patrie ! Une image idyllique, intemporelle, qui raconte à sa manière le parcours d’un enfant gâté de l’art.