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Sur quel pied danser…

Publié le , par Pierre Naquin

Retour à Séoul sur la 18e édition de la KIAF, qui hésite encore entre ambition internationale et réalité du marché local. À trop embrasser, étreint-elle aussi bien ?

Liza Lou (née en 1969), Pannus, 2018. Stand Lehmann Maupin à la KIAF 2019. Sur quel pied danser…
Liza Lou (née en 1969), Pannus, 2018. Stand Lehmann Maupin à la KIAF 2019.
Courtesy Lehmann Maupin. KIAF

Organisée par l’association des galeries coréennes, la Korean International Art Fair (KIAF) 2019 rencontrait les mêmes difficultés que tous les salons supervisés par des syndicats : difficile de prendre les meilleures décisions pour la foire quand il faut en même temps ménager les susceptibilités de ses membres. Cela était perceptible dès l’entrée, dans le hall principal du Coex. Il y a effectivement deux salons en un : le premier, «international», composé des galeries au centre du plateau, l’autre, local, rassemblant les autres exposants sur les bords. Les propositions artistiques ne peuvent d’ailleurs être plus dissonantes : mouvement Dansaekhwa, artistes occidentaux établis et art moderne d’un côté, pop colorée et street art de l’autre. «Autant il peut être enthousiasmant de se dire que des galeries comme Pace participent, autant nos clientèles respectives ne se mélangent pas», confirme Jason Haam de la galerie du même nom.

Carte à jouer
Il n’empêche, les organisateurs comptent bien capitaliser sur les problèmes actuels hong-kongais pour tenter de déplacer le centre du marché asiatique de l’art un peu au nord et un peu à l’est : «Alors que la crise à Hong Kong se prolonge, beaucoup de galeries étrangères ont fait venir des représentants pour évaluer le marché coréen», exprime Choi Woong-chul, le nouveau président de la Galleries Association of Korea. Il faudra néanmoins compter avec des collectionneurs qui ne sortent que peu de leur zone de confort. « Le marché coréen est difficile à pénétrer ; les acheteurs acceptent difficilement des œuvres d’autres territoires», explique Chen Chih-pin, de la galerie taiwanaise Der-Horng, peu satisfait de ses ventes. «Il y a beaucoup d’acheteurs investisseurs, moins de passionnés. On a besoin des deux», ajoute Jason Haam. Côté fréquentation, cette édition bénéficiait de la simultanéité de la Conférence internationale des barreaux (6 000 personnes) pour faire le plein de visiteurs : 82 000, selon l’organisation (+ 30 %). Ce n’était pourtant pas l’impression des exposants : «Il nous semble qu’il y avait moins de monde que les années précédentes», confiait l’Israélien Motti Abramovitz (Bruno Art Group). «La foire a du mal à s’internationaliser. Toutes nos ventes sont allées à des collectionneurs coréens. Nous n’avons rencontré que très peu d’étrangers réellement intéressés», précise Jason Haam. «Le nombre d’exposants internationaux réguliers ne progresse pas. Il faut leur offrir plus de visibilité», explique Elke Mohr, de la Die Galerie à Francfort. Difficile aussi pour les marchants situés dans le Hall B, qui ne bénéficiaient pas de la complète rénovation du centre de congrès.

+ 10 %
Pour ce qui est des ventes, la KIAF annonce une progression de 3 milliards de wons (+ 10 %) pour un chiffre d’affaires de 31 milliards de RKW (24 M€). Il semblerait que celle-ci ait finalement bénéficié à quelques acteurs au détriment de beaucoup d’autres. Du côté des gagnants, l’invincible Kukje Gallery plaçait With Winds (1988) de Lee Ufan autour des 900 000 $, deux œuvres d’Othoniel pour un total d’environ 65 000 €, Towel (2018) de Julian Opie pour plus de 35 000 £, ou encore près de 200 000 $ d’œuvres de Jenny Holzer. «En tant qu’exposant de la première heure, nous sommes heureux et fiers de voir ce développement année après année», ajoute une directrice. La Gallery Kiche était heureuse : «Nous avons presque tout vendu», confie son directeur Yun Du-Hyun. «Même si nous présentions un stand très tourné vers les modernes, comme Brancusi, Ernst, Matta, Chagall, Picasso, Nevelson, nous avons paradoxalement beaucoup vendu d’art contemporain, notamment le Français Alain Clément», explique de son côté Elke Mohr. «Nous avons cédé cinq toiles de Matthew [entre 11 000 et 23 000 $ chacune, ndlr]», précise Choi Sunhee, de la galerie allemande Choi & Lager. «Même s’il y avait beaucoup de monde, et qu’il est agréable de voir que les Coréens s’intéressent de plus en plus à l’art, il restait compliqué de trouver de nouveaux collectionneurs», confiait-elle également. L’enseigne coréenne Joeun a vendu pour 150 000 € d’œuvres, quand la Parisienne Françoise Livinec nous a glissé : « Ça a été dur mais on s’en est sorti ! » Le plus gros événement marchand coréen de l’art peine à prendre l’ampleur internationale qu’il voudrait se donner : aucune communication auprès de collectionneurs étrangers (même dans la zone asiatique), pas ou peu de correspondants internationaux ni de médias, peu de renouvellement des artistes présentés. Comme le résume très bien Elke Mohr, «la foire gagnerait à avoir une direction plus claire». À bon entendeur…
 

Helen Pashgian (née en 1934), Untitled, 2019. Stand Lehmann Maupin à la KIAF 2019.
Helen Pashgian (née en 1934), Untitled, 2019. Stand Lehmann Maupin à la KIAF 2019.Courtesy Lehmann Maupin. KIAF