C’est peu de dire qu’elles se conjuguent au pluriel tant le goût pour l’art de cet ancien bâtonnier semble sans limite. Livres, dessins, cadrans solaires, orfèvrerie normande… et plus si affinités.
Tous les chemins mènent à la collection. Pour Jean-Claude Delauney, ce fut une évidence. «Je fus bercé dès ma prime enfance par l’amour des objets qui m’entouraient et l’art de les collectionner», raconte-t-il dans une longue préface aux catalogues. Celui par qui tout commence est son arrière-grand-père, Louis Deglatigny (1854-1936). Rêvant d’être capitaine au long cours, il s’établit dans sa ville natale de Rouen, comme négociant en bois des îles. Et mène une active vie d’affaires. Retiré dans une retraite studieuse en 1904, il consacre ses loisirs à l’étude de la préhistoire, à l’archéologie et aux beaux-arts. Membre de sociétés savantes, il réunit une collection de tableaux, dessins, estampes. Ce généreux donateur publie à ses frais l’Inventaire artistique et archéologique des édifices et vues de Rouen. À sa mort, ses héritiers réalisent sa collection. Soit huit ventes, à Paris pour la plupart, de livres, monnaies, estampes, autographes. La dernière, le 5 février 1951 en salle 10, à Drouot, est consacrée aux tableaux, dessins, pastels, gouaches et aquarelles modernes. Une belle entrée en matière pour notre bâtonnier né sous le signe du lion. «Le jour le plus important de la semaine était le vendredi car pour moi, à Caen, jour de réception de La Gazette, non pas celle du Palais, dont j’étais aussi lecteur assidu, mais celle de l’hôtel Drouot», précise-t-il… Les nombreux ensembles dont il se sépare aujourd’hui ont été initiés par Louis Deglatigny, conservés et augmentés par les générations qui lui ont succédé. Ainsi des presse-papiers (100 à 800 €) et des gobelets XIXe en cristal à inclusions de fleurs, décorations et profils de personnages célèbres (200 à 1 000 €). Mais aussi des objets en céramique de Wedgwood. Aux pièces acquises par sa mère, Jean-Claude Delauney ajoute notamment une imposante paire d’aiguières en black basalt, aux marques de Josuah Wedgwood et Thomas Bentley, d’inspiration néoclassique(3 000/4 000 €).
E comme éclectisme
On pourra en effet également acquérir des compas et des équerres pliantes en laiton XVIIIe (50 à 200 €), mais aussi et surtout des cadrans solaires dont un rare modèle octogonal de voyage, d’époque Louis XV. Signée Le Maire fils à Paris, cette boussole à seize directions est gravée des latitudes de dix-huit villes et forts de l’Amérique du Nord et de la Caraïbe : Michilimackinak, Trois-Rivières, Michipicoton, Frontenac, Détroit, Niagara… (4 000/6 000 €). Rien ne semble arrêter la curiosité de ce civiliste pour qui la quête de l’objet dure parfois plus que sa possession. «La plus grande excitation, ce n’est pas la vente, c’est l’attente du coup de téléphone», ajoute-t-il. Sa collection de porcelaines de Bordeaux, il l’a débuté dans les années 1980 à l’occasion d’un déplacement pour une plaidoirie. Joignant l’utile à l’agréable, il visite le musée des Arts décoratifs et tombe en arrêt devant des pièces décorées de rinceaux «à la Salembier», produites par la manufacture Verneuilh et Vanier. De retour à Caen, il débute une collection qui comprend aujourd’hui quatre-vingts pièces (100 à 1 500 €). Il a pris aujourd’hui la décision de se séparer de ses collections, mais il continue à acheter des verreries de François Décorchemont (1880-1971) figure majeure des arts du feu , de l’orfèvrerie albigeoise et des paysages d’artistes de l’école de Rouen du début XXe, parmi lesquels Jules Rame, Georges Bradberry, et Samuel Frère, avocat, littérateur, critique d’art et peintre, ami de Louis Deglatigny. Au chapitre des tableaux justement, on met le cap sur une sanguine de Jean-Baptiste Marie Pierre (1714-1789), Un marché sur la place d’une ville italienne (3 000/5 000 €), portant le cachet de la collection du marquis de Chennevières et celui de Louis Deglatigny (le savoureux «LsD»…), une feuille d’Hubert Robert, Les Cuisines du Palais de justice de Paris (8 000/12 000 €), au titre chargé de symboles pour un ancien avocat. On ne sera pas surpris non plus de découvrir un bel ensemble d’œuvres de peintres normands de Léon Jules Lemaitre (Neige sur le palais de justice à Rouen, 1900, 6 000/10 000 €, voir photo) à Charles Mozin (une trentaine de marines au crayon noir, 200 à 700 €) en passant par Albert Lebourg (1849-1928) dont une toile aux tonalités délicates de gris, vert et mauve, Le Bac, La Bouille, 1907, est espérée à 15 000/20 000 €.
Poinçons des villes martyres normandes
Deux spécialités enfin tiennent une place particulière dans le cœur de notre collectionneur : la bibliophilie et l’orfèvrerie. C’est d’ailleurs l’une des pièces de cette dernière qui devrait être la plus disputée. Comptez 60 000/100 000 € pour une paire de boîtes de toilette de Jean-François Jobart (1681-1757), aux armes d’alliance de Michel Picot, seigneur de Beauchesne, secrétaire du roi en 1695, issu d’une famille d’origine écossaise installée en Normandie puis à Saint-Malo, enrichie dans le commerce avec Cadix et l’armement maritime. Cette paire d’objets est accompagnée d’une soixantaine de pièces de forme et de service aux poinçons des villes détruites : Caen, Saint-Lô, Rouen, Valognes, Coutances, Avranches, Bayeux, Falaise, Granville. Le 7 novembre 2018 (chez Binoche et Giquello OVV), le contenu de la «Bibliothèque J.-C. D.» recueillait 268 619 €. Elle comprenait un fonds important d’éditions originales et d’autographes d’Octave Mirbeau (1848-1917), écrivain, critique d’art et journaliste originaire du Calvados.
Références
Dernier tour de piste aujourd’hui pour les ouvrages anciens, mais surtout modernes. Et notamment pour ceux illustrés par Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923). La preuve par l’image avec deux volumes (70 000/90 000 €) composés de dessins au crayon gras, à l’encre de Chine et aux crayons de couleur, et principalement réalisés pour le supplément illustré hebdomadaire du journal Gil Blas (voir l'article Anarchisme esthétique pour un bâtonnier bibliophile de la couverture de la Gazette n° 30). Ils sont connus sous le nom de recueil Villebœuf, dont ils portent l’ex-libris, mais ont aussi fait partie de la bibliothèque du colonel Daniel Sicklès. Une référence dans le monde de la bibliophilie… Les amateurs de provenance surveilleront également une édition originale (éditée à compte d’auteur) du premier recueil de poèmes de Robert de Montesquiou, Les Chauves-Souris. Clairs obscurs (Paris, 1892, 12 000/18 000 €). Ce précieux exemplaire est orné d’un portrait peint à l’huile de l’écrivain par Antonio de La Gandara, d’un envoi de l’auteur à Edmond de Goncourt, dont il porte la marque, tout comme celles de Philippe Kah (avocat et homme de lettres) et de Pierre Bergé. Les plus belles réussites sont celles que l’on partage…