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Collections Jean-Claude Delauney

Publié le , par Claire Papon
Vente le 23 octobre 2019 - 13:30 (CEST) - Salle 5-6 - Hôtel Drouot - 75009

C’est peu de dire qu’elles se conjuguent au pluriel tant le goût pour l’art de cet ancien bâtonnier semble sans limite. Livres, dessins, cadrans solaires, orfèvrerie normande… et plus si affinités.

Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), dessin original pour le Rire, n°65, 1er... Collections Jean-Claude Delauney
Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), dessin original pour le Rire, n°65, 1er février 1896, 33,3 25,7 cm.
Estimation : 1 800/2 000 

Tous les chemins mènent à la collection. Pour Jean-Claude Delauney, ce fut une évidence. «Je fus bercé dès ma prime enfance par l’amour des objets qui m’entouraient et l’art de les collectionner», raconte-t-il dans une longue préface aux catalogues. Celui par qui tout commence est son arrière-grand-père, Louis Deglatigny (1854-1936). Rêvant d’être capitaine au long cours, il s’établit dans sa ville natale de Rouen, comme négociant en bois des îles. Et mène une active vie d’affaires. Retiré dans une retraite studieuse en 1904, il consacre ses loisirs à l’étude de la préhistoire, à l’archéologie et aux beaux-arts. Membre de sociétés savantes, il réunit une collection de tableaux, dessins, estampes. Ce généreux donateur publie à ses frais l’Inventaire artistique et archéologique des édifices et vues de Rouen. À sa mort, ses héritiers réalisent sa collection. Soit huit ventes, à Paris pour la plupart, de livres, monnaies, estampes, autographes. La dernière, le 5 février 1951 en salle 10, à Drouot, est consacrée aux tableaux, dessins, pastels, gouaches et aquarelles modernes. Une belle entrée en matière pour notre bâtonnier né sous le signe du lion. «Le jour le plus important de la semaine était le vendredi car pour moi, à Caen, jour de réception de La Gazette, non pas celle du Palais, dont j’étais aussi lecteur assidu, mais celle de l’hôtel Drouot», précise-t-il… Les nombreux ensembles dont il se sépare aujourd’hui ont été initiés par Louis Deglatigny, conservés et augmentés par les générations qui lui ont succédé. Ainsi des presse-papiers (100 à 800 €) et des gobelets XIXe en cristal à inclusions de fleurs, décorations et profils de personnages célèbres (200 à 1 000 €). Mais aussi des objets en céramique de Wedgwood. Aux pièces acquises par sa mère, Jean-Claude Delauney ajoute notamment une imposante paire d’aiguières en black basalt, aux marques de Josuah Wedgwood et Thomas Bentley, d’inspiration néoclassique(3 000/4 000 €).
 

Léon Jules Lemaitre (1850-1905), Neige sur le palais de justice à Rouen, 1900,huile sur toile, 54 x 73 cm (détail). Estimation : 6 000/10 
Léon Jules Lemaitre (1850-1905), Neige sur le palais de justice à Rouen, 1900,
huile sur toile, 54 
73 cm (détail).
Estimation : 6 000/10 000 


E comme éclectisme
On pourra en effet également acquérir des compas et des équerres pliantes en laiton XVIIIe (50 à 200 €), mais aussi et surtout des cadrans solaires dont un rare modèle octogonal de voyage, d’époque Louis XV. Signée Le Maire fils à Paris, cette boussole à seize directions est gravée des latitudes de dix-huit villes et forts de l’Amérique du Nord et de la Caraïbe : Michilimackinak, Trois-Rivières, Michipicoton, Frontenac, Détroit, Niagara… (4 000/6 000 €). Rien ne semble arrêter la curiosité de ce civiliste pour qui la quête de l’objet dure parfois plus que sa possession. «La plus grande excitation, ce n’est pas la vente, c’est l’attente du coup de téléphone», ajoute-t-il. Sa collection de porcelaines de Bordeaux, il l’a débuté dans les années 1980 à l’occasion d’un déplacement pour une plaidoirie. Joignant l’utile à l’agréable, il visite le musée des Arts décoratifs et tombe en arrêt devant des pièces décorées de rinceaux «à la Salembier», produites par la manufacture Verneuilh et Vanier. De retour à Caen, il débute une collection qui comprend aujourd’hui quatre-vingts pièces (100 à 1 500 €). Il a pris aujourd’hui la décision de se séparer de ses collections, mais il continue à acheter des verreries de François Décorchemont (1880-1971)  figure majeure des arts du feu , de l’orfèvrerie albigeoise et des paysages d’artistes de l’école de Rouen du début XXe, parmi lesquels Jules Rame, Georges Bradberry, et Samuel Frère, avocat, littérateur, critique d’art et peintre, ami de Louis Deglatigny. Au chapitre des tableaux justement, on met le cap sur une sanguine de Jean-Baptiste Marie Pierre (1714-1789), Un marché sur la place d’une ville italienne (3 000/5 000 €), portant le cachet de la collection du marquis de Chennevières et celui de Louis Deglatigny (le savoureux «LsD»…), une feuille d’Hubert Robert, Les Cuisines du Palais de justice de Paris (8 000/12 000 €), au titre chargé de symboles pour un ancien avocat. On ne sera pas surpris non plus de découvrir un bel ensemble d’œuvres de peintres normands de Léon Jules Lemaitre (Neige sur le palais de justice à Rouen, 1900, 6 000/10 000 €, voir photo) à Charles Mozin (une trentaine de marines au crayon noir, 200 à 700 €) en passant par Albert Lebourg (1849-1928) dont une toile aux tonalités délicates de gris, vert et mauve, Le Bac, La Bouille, 1907, est espérée à 15 000/20 000 €.

 

Paire de boîtes de toilette en argent à décor d’entrelacs feuillagés et volatiles, gravées d’armes d’alliance timbrées d’une couronne comt
Paire de boîtes de toilette en argent à décor d’entrelacs feuillagés et volatiles, gravées d’armes d’alliance timbrées d’une couronne comtale. Jean-François Jobart (père), Valognes, 1730-1748, diam. 12,7. h. 7,3 cm.
Estimation : 60 000/100 000 
Remy de Gourmont (1858-1915), Les Litanies de la rose (Paris, 1919), in-6 : carré, vélin peint à la Bradel, reliure de l’époque, 59 compos
Remy de Gourmont (1858-1915), Les Litanies de la rose (Paris, 1919), in-6 : carré, vélin peint à la Bradel, reliure de l’époque, 59 compositions hors-texte d’André Domin (1883-1962), mises en couleurs au pochoir.
Estimation : 600/800 € (mercredi 23)


Poinçons des villes martyres normandes
Deux spécialités enfin tiennent une place particulière dans le cœur de notre collectionneur : la bibliophilie et l’orfèvrerie. C’est d’ailleurs l’une des pièces de cette dernière qui devrait être la plus disputée. Comptez 60 000/100 000 € pour une paire de boîtes de toilette de Jean-François Jobart (1681-1757), aux armes d’alliance de Michel Picot, seigneur de Beauchesne, secrétaire du roi en 1695, issu d’une famille d’origine écossaise installée en Normandie puis à Saint-Malo, enrichie dans le commerce avec Cadix et l’armement maritime. Cette paire d’objets est accompagnée d’une soixantaine de pièces de forme et de service aux poinçons des villes détruites : Caen, Saint-Lô, Rouen, Valognes, Coutances, Avranches, Bayeux, Falaise, Granville. Le 7 novembre 2018 (chez Binoche et Giquello OVV), le contenu de la «Bibliothèque J.-C. D.» recueillait 268 619 €. Elle comprenait un fonds important d’éditions originales et d’autographes d’Octave Mirbeau (1848-1917), écrivain, critique d’art et journaliste originaire du Calvados.
Références
Dernier tour de piste aujourd’hui pour les ouvrages anciens, mais surtout modernes. Et notamment pour ceux illustrés par Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923). La preuve par l’image avec deux volumes (70 000/90 000 €) composés de dessins au crayon gras, à l’encre de Chine et aux crayons de couleur, et principalement réalisés pour le supplément illustré hebdomadaire du journal Gil Blas (voir l'article Anarchisme esthétique pour un bâtonnier bibliophile de la couverture de la Gazette n° 30). Ils sont connus sous le nom de recueil Villebœuf, dont ils portent l’ex-libris, mais ont aussi fait partie de la bibliothèque du colonel Daniel Sicklès. Une référence dans le monde de la bibliophilie… Les amateurs de provenance surveilleront également une édition originale (éditée à compte d’auteur) du premier recueil de poèmes de Robert de Montesquiou, Les Chauves-Souris. Clairs obscurs (Paris, 1892, 12 000/18 000 €). Ce précieux exemplaire est orné d’un portrait peint à l’huile de l’écrivain par Antonio de La Gandara, d’un envoi de l’auteur à Edmond de Goncourt, dont il porte la marque, tout comme celles de Philippe Kah (avocat et homme de lettres) et de Pierre Bergé. Les plus belles réussites sont celles que l’on partage…

3 questions à…
Jean-Claude Delauney
 
Achille-Etna Michallon (1795-1822), La Mort de Roland, huile sur toile, 32 x 40,6 cm. Estimation : 8 000/12 000 €
Achille-Etna Michallon (1795-1822), La Mort de Roland, huile sur toile, 32 40,6 cm.
Estimation : 8 000/12 000 


Quel est votre état d’esprit à la veille des ventes ?
Je suis partagé. D’un côté, l’idée de se séparer d’objets avec lesquels j’ai vécu pendant des dizaines d’années, et certains même vus depuis ma naissance. De l’autre, celle de vendre des collections qui, pour moi, sont terminées, avec lesquelles je n’ai plus d’attachement vital. J’estime être parvenu à un point où je ne pense pas pouvoir trouver des œuvres me permettant d’améliorer l’ensemble ou le compléter. Ou si je le voulais, ce serait hors de mes moyens. Alors, je profite de ma collection et une fois que j’en ai fait le tour, étudié les pièces comme je le souhaite, réuni toute la documentation, je m’en sépare. Et puis, aujourd’hui, j’ai la joie du collectionneur vivant et non de la vente après décès…

Vous avez vu votre goût évoluer ?
Quand j’ai commencé à acheter des livres, je ne m’intéressais qu’au texte, au manuscrit, aux épreuves corrigées, aux éditions originales ou à l’exemplaire ayant appartenu à l’auteur. J’excluais le livre illustré qui, pour moi, était une création un peu superflue, qui n’ajoutait rien au texte. Puis je me suis rendu compte, il y a quelques années que certains auteurs avaient voulu que leurs œuvres soient enrichies par des peintres et avaient participé à l’illustration. C’est le cas du Barabbas de Lucien Descaves, pour lequel Théophile- Alexandre Steinlen a dessiné, au fusain ou à l’encre de Chine, les compositions et même un cuir incisé patiné et doré enchâssé dans le premier plat de la reliure.

Ce serait une reconnaissance pour vous s’il y avait des préemptions ?
Oui, bien sûr ! Je pense par exemple à l’esquisse d’Achille-Etna Michallon La Mort de Roland dont une autre étude est conservée au musée des beaux-arts de Strasbourg et dont le tableau appartient au musée du Louvre, ou à l’Étude pour la mort de Britannicus, d’Alexandre Denis Abel de Pujol, dont le tableau est à celui de Dijon. Ou enfin au dessin de Félix Buhot, originaire de Valognes, pour le musée Thomas-Henry à Cherbourg. Cela montrerait que l’on a fait une collection qui a du sens…
À savoir
Mercredi 23 octobre, salle 5-6 - Drouot-Richelieu
13 h 30 Livres anciens et modernes. 15 h 30 Orfèvrerie et objets de vitrine

Jeudi 24 octobre, salle 5 - Drouot-Richelieu
13 h 30 Art nouveau - art déco, céramique, objets d’art, meubles, Asie.

Vendredi 25 octobre, salle 5 - Drouot-Richelieu
13 h 30 Dessins et tableaux, anciens et modernes
Beaussant Lefèvre OVV. Mme Sevestre-Barbé, MM. Meaudre, Emeric & Stephen Portier, Maury, Vandermeersch, Bacot, de Lencquesaing, Auguier, de Louvencourt, cabinet Portier & Associés.
mercredi 23 octobre 2019 - 13:30 (CEST) -
Salle 5-6 - Hôtel Drouot - 75009 Paris
Beaussant Lefèvre & Associés