Témoins des us et coutumes d’une société privilégiée et raffinée, les petits objets précieux du siècle des Lumières et du suivant suscitent toujours l’envie… et ce n’est pas un péché !
Tabatières, boîtes à mouches, corsetières… et autres étuis à cire, voici un vocabulaire que les moins de 200 ans ne peuvent pas connaître ! Il nous parle d’un temps où le luxe était monnaie courante – du moins pour la toute petite partie bien née de la population –, et où les orfèvres rivalisaient d’inventivité pour attirer leur clientèle. Ces objets ont traversé les siècles pour nous parvenir souvent intacts et font désormais l’objet de collections recherchées. Leurs résultats en ventes aux enchères en témoignent. Alors que le musée Cognacq-Jay leur offre une jolie mise en lumière contextualisée, pour mieux appréhender la destination de chacun d’entre eux, le moment est choisi de leur ouvrir ces pages et de les observer par le petit bout de la lorgnette.
Des amours de poche
Si les petits objets précieux sont chez eux dans cet écrin qu’est le musée abritant la collection d’Ernest Cognacq, ils ont aussi appris à voler de leurs propres ailes. Le siècle des Lumières est véritablement le leur. Ils suscitent un engouement, en France tout d’abord, avant d’essaimer dans toute l’Europe. En or –très souvent – et enrichis de pierres dures, de pierres précieuses, de nacre, de porcelaine ou encore d’émaux translucides et parfois de miniatures, ils adoptent une variété de formes et d’emplois qui convoquent à la fois l’histoire de l’art et celle de la mode. On nommait à l’époque ces petites pièces «objets de vertu», alors que de vertu ils étaient fort peu dotés ! D’ailleurs, l’origine de cette expression est un peu obscure. Selon le catalogue raisonné de la collection du musée Cognacq-Jay (publié en 2011), il s’agirait soit d’un anglicisme – Vertue étant le nom d’un orfèvre ou d’un amateur –, soit d’un souvenir de l’émigration des protestants de France après la révocation de l’édit de Nantes. Ceux qui avaient refusé de renier leur foi étaient appelés «les Vertueux», et parmi eux se trouvaient beaucoup d’artisans de qualité, des orfèvres notamment. Ces éminents spécialistes ont rivalisé d’ingéniosité pour donner vie à de vrais chefs-d’œuvre de fantaisie et de technicité. Il faut absolument découvrir, dans l’exposition, le dromadaire en agate sculptée se faisant drageoir, l’étui à cire en porcelaine prenant l’aspect d’une asperge ou encore le pistolet miniature, dissimulant un vaporisateur à parfum. Aux enchères aussi des merveilles se déploient. Bernard Bellavoine, reçu vers 1738, réalise à Blois vers 1775 une tabatière en argent en forme d’huître plate au naturel, incrustée d’algues et de coquillages (115 200 €, Drouot, 29 mars 2022. Jean-Marc Delvaux OVV). Et le plus formidable est que, au-delà de leur préciosité, ces objets ont souvent un réel usage domestique. Le tabac est commun au XVIIIe siècle. Cette plante herbacée, arrivée dans les cales des navires un siècle plus tôt, est consommée en poudre et il faut donc créer des contenants parfaitement hermétiques. Car tout le monde, du simple paysan à la plus élégante dame de la cour, prisait ! La tabatière, objet attestant de la richesse et du bon goût de son possesseur, devient ainsi l’une des spécialités les plus importantes de l’orfèvrerie, étant réservée aux orfèvres bijoutiers. Sa forme évolue au cours du XVIIIe siècle : de contournée dans les premières années, elle adopte vers 1740 des lignes rectangulaires plus sobres, contrastant avec la richesse de son ornementation. Conçue par le maître orfèvre Louis Urbain Thévenot en 1744-1745 avec un extrême raffinement, une tabatière cage, insérant dans sa monture en or des panneaux de nacre gravée, de corail et de cornaline, retenait 175 000 € chez Fraysse & Associés en décembre 2015. D’une grande modernité pour son époque tant on pourrait la penser de la période art nouveau – avec son décor «au naturel» d’un bouquet de narcisses en émaux polychromes –, une autre de 1749 nécessitait 92 000 € (1er décembre 2017, Drouot, Beaussant Lefèvre & Associés). Et 67 600 € revenaient à une pièce de 1727 portant le poinçon de la ville d’Amsterdam, munie d’un couvercle au décor en or ciselé représentant le dieu Pan et des bergers (23 mai 2019, Neuilly-sur-Seine, Aguttes OVV).
Prendre la mouche
Pas de théorie du genre au XVIIIe siècle ? On peut se le demander… Car si le tabac n’était pas qu’un loisir masculin, la mouche n’était pas non plus réservée aux femmes. On parle de celle en soie ou en velours noir, qui est un subtil accessoire de beauté et de séduction, rapidement indispensable car elle rehausse avantageusement la blancheur du teint. Son emplacement dépend d’un code très précis ; il indique en effet l’humeur et le caractère de la personne. Ces délicats atours sont dotés d’un nom particulier : «la passionnée» se portait au coin de l’œil, «l’enjouée» sur la fossette, «la coquette» sur les lèvres, « la gaillarde» sur le nez, «la receleuse» sur un bouton… Évidemment, pour abriter ces charmants trésors, nés de l’imitation du grain de beauté et arborant sous Louis XV différentes formes –étoiles, lune, soleil ou encore animaux –, il fallait un récipient adapté. Et voici notre boîte à mouches qui entre en scène ! Comme son aînée la tabatière, pour les plus beaux modèles, elle est l’œuvre des orfèvres-bijoutiers et non des orfèvres ordinaires en argenterie. Faisant aussi partie de la corbeille de noces, toujours comme la tabatière, elle peut être rehaussée de pierres, de diamants, d’émail et de miniatures. Un petit exemplaire ovale, plaqué d’émail violet sur toutes ses faces, dont le dessus s’agrémente d’un médaillon émaillé d’une scène mythologique, laissait échapper 8 710 € (Neuilly, 6 décembre 2023, Aguttes OVV). Toutes ces boîtes pouvaient aussi être fabriquées en vernis Martin –2 032 € pour celle faite à Paris entre 1750 et 1752, à décor japonisant, et vendue chez Fraysse & Associés le 7 avril 2022 —, en corne – 2 080 € pour celle d’époque Louis XVI à décor à l’or d’un paysage chinoisant sur de la poudre de corne laquée corail, chez Giquello en octobre 2022 –, mais aussi en ivoire plaqué de nacre, en écaille blonde et même en composition.
Eh bien, chantez maintenant !
Parmi toutes ces créations, les boîtes à miniatures sont les plus fréquentes. En 2023, le musée du Louvre a pu s’offrir, moyennant 3,9 M€, un chef-d’œuvre du XVIIIe siècle, la «tabatière Choiseul», création du miniaturiste Louis-Nicolas Van Blarenberghe et de l’orfèvre Louis Roucel grâce à la campagne « Tous mécènes ! », à laquelle 5 000 donateurs ont participé. Elle présente sur toutes ses faces des gouaches illustrant des vues d’intérieurs dont, pour quatre d’entre elles, des pièces de l’hôtel Choiseul-Richelieu. Un charmant modèle de Jean Ducrollay – orfèvre-bijoutier parisien actif entre 1734 et 1761 —, orné de panneaux polychromes peints à la manière de Boucher de scènes champêtres, se promenait à 58 238 € (décembre 2020, Fraysse & Associés). En parallèle de leurs confrères français, très actifs sous le règne de Napoléon – grand consommateur de ses petites merveilles pour diffuser son impériale effigie et celle de ses proches –, les Suisses, dès le début du XIXe, se sont rendus maîtres dans leur fabrication. Vers 1845-1850, Charles Magnin réalise une tabatière de présent en or et émail polychrome au portrait de l’empereur Pedro II du Brésil (1825-1891). Proposée par Maison R&C le 30 janvier 2024, elle recevait 48 100 €. Les plus spectaculaires affichent un atout supplémentaire, tel un mécanisme «à l’oiseau chanteur» : chez Aguttes, à Neuilly le 28 septembre 2022, une boîte-montre, enrichie d’émail et de perles, s’ouvrait pour délivrer son chant mélodieux à 328 980 €. Son système ingénieux est attribué aux frères Rochat, qui travaillaient dans la vallée de Joux durant la première moitié du XIXe siècle. On sait qu’ils fournissaient des pièces à la firme Jacquet-Droz & Leschot. L’étui à cire clôturera cette promenade délicieuse. C’était d’ailleurs son usage que d’abriter la matière – sous forme de bâton ou de pain, ceci expliquant sa forme allongée – servant à cacheter les plis les plus confidentiels. En or simplement guilloché et du XVIIIe, il se négocie autour de deux milliers d’euros –2 035 € chez Beaussant Lefèvre & Associés, à Drouot, le 29 mars 2024, pour un modèle d’époque Louis XVI – et peut grimper jusqu’à près de dix fois plus en fonction de son décor et de son auteur : 19 500 € un étui orné de cinq cartouches émaillés polychrome à décor de fleurs réalisé à Paris en 1765 par Germain Chayé (Drouot, 11 mai 2016, Baron Ribeyre & Associés). En classe, on dit qu’un certain François-Marie Arouet s’amusait avec sa tabatière. Son professeur de rhétorique la lui confisqua et lui promit de la lui rendre s’il faisait sa demande en vers. Voici ce que le jeune Voltaire écrivit : «Adieu, ma pauvre tabatière ; Adieu, je ne te verrai plus ; Ni soins, ni larmes, ni prière, ne te rendront à moi ; mes efforts sont perdus. Adieu, ma pauvre tabatière ; Adieu doux fruit de mes écus ! S’il faut à prix d’argent te racheter encore, J’irai plutôt vider les trésors de Plutus.»
La divinité de la richesse n’en craint pas tant des collectionneurs d’aujourd’hui…