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Cinéma : Le Tableau volé de Pascal Bonitzer, enchères et vieilles histoires

Publié le , par Camille Larbey
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

Le réalisateur livre un malicieux vaudeville dans l’univers des ventes aux enchères. Avec, en toile de fond, la redécouverte d’un tableau d’Egon Schiele et… l’Hôtel Drouot.

Interprété par Alex Lutz, le commissaire-priseur André Masson devra ruser pour ne... Cinéma : Le Tableau volé de Pascal Bonitzer, enchères et vieilles histoires
Interprété par Alex Lutz, le commissaire-priseur André Masson devra ruser pour ne pas voir filer entre ses doigts la vente du Schiele miraculeusement retrouvé.

Quand une avocate de Mulhouse écrit à André Masson (Alex Lutz, mèche folle et charme fou) qu’un de ses clients, modeste ouvrier de nuit, possède chez lui une toile d’Egon Schiele, l’ambitieux commissaire-priseur se rend sur place pour en vérifier l’authenticité comme on s’acquitte d’une corvée. Dans 99 % des cas, il s’agit en effet d’une copie ou d’une contrefaçon. Surprise : le Schiele s’avère authentique ! Il s’agit des Tournesols, œuvre supposée disparue lors d’un bombardement au début de la Seconde Guerre mondiale. L’aubaine pourrait permettre à André Masson de voir sa carrière s’envoler. Mais, pour parvenir à une vente à huit chiffres, il devra se déprendre d’une galerie de personnages hauts en couleur : une stagiaire revêche et mythomane (Louise Chevillotte), une ex-épouse futée (Léa Drucker), une avocate de province peu impressionnable par le luxe du marché de l’art (Nora Hamzawi), ainsi que divers intrigants en costume croisé.

Une histoire vraie

L’incroyable histoire des Tournesols de Schiele est véridique. Au milieu des années 2000, Thomas Seydoux reçoit la lettre d’une avocate mulhousienne à propos d’un client qui possède un tableau du peintre autrichien accroché au mur de sa chambre. « À ce moment-là, au Grand Palais à Paris il y avait une exposition dédiée à Gustav Klimt, Egon Schiele, Oskar Kokoschka et Koloman Moser. Et souvent, lors de grandes rétrospectives de peintres, les maisons de vente aux enchères sont démarchées par des personnes qui croient posséder un vrai tableau. Ces demandes, qui arrivent assez fréquemment, ne sont pas prises à la légère, mais, en général, on n’y croit pas du tout », explique alors le spécialiste de l’art moderne sur RTL. Peinte en 1914 et achetée par le collectionneur et marchand d’art Karl Grünwald, la toile en question n’était connue qu’à travers des photographies en noir et blanc. Elle avait disparu en 1939 lors de l’arrestation de son propriétaire à Strasbourg, alors qu’il fuyait l’Autriche dans l’espoir d’acheter des visas pour sauver sa famille. Sa collection de tableaux – dont les Tournesols – avait été saisie par les nazis puis dispersée…


Plutôt qu’une dénonciation de l’art devenu un actif financier parmi d’autres, Le Tableau volé
fait de l’œuvre d’art un instrument de glissement entre les classes sociales : il fait la fortune des uns, la faillite des autres.


Après le monde de la finance dans Tout de suite maintenant (2016), Pascal Bonitzer s’attaque au cynisme du marché de l’art. Toutefois, l’ancienne plume des Cahiers du cinéma est trop rusée pour forcer le trait et nous en livrer une caricature sans relief. En cinéaste du trompe-l’œil, Bonitzer s’amuse à déjouer nos perceptions des personnages. Ici, un commissaire-priseur aux voitures et aux montres de luxe, moins faraud qu’il n’en donnait l’air. Là, deux jeunes en survêtement-baskets qui ne sont pas des margoulins à la manque, comme on aurait pu le supposer. Plutôt qu’une dénonciation de l’art devenu un actif financier parmi d’autres, Le Tableau volé fait de l’œuvre d’art un instrument de glissement entre les classes sociales : il fait la fortune des uns, la faillite des autres. Il permet à André Masson de s’élever socialement et impressionne le jeune ouvrier, effrayé de voir son quotidien bouleversé par cette extraordinaire découverte. Le tableau d’Egon Schiele est à la fois l’outil de mise en crise des personnages et le révélateur des âmes. Comme à l’accoutumée, le réalisateur place sa mise en scène au service d’une troupe d’acteurs et d’actrices interprétant avec gourmandise leur partition. Sous sa modestie, le film conserve ses atours d’élégante comédie, teintée parfois de drame.

Scènes clés à l’Hôtel Drouot

« Allez prendre l’air. Faites-vous l’œil dans un musée, une galerie, à Drouot », ordonne André Masson à sa stagiaire, un jour où celle-ci est particulièrement mal lunée. Des trois suggestions, la jeune femme choisit la dernière. L’auguste institution parisienne devient alors le décor de deux scènes clés du film. Pascal Bonitzer a l’intelligence de ne pas dépeindre la Salle des ventes (titre initial du film) en club pour collectionneurs fortunés, comme le cinéma s’est tant plu à le faire. Drouot apparaît en refuge. Au lieu vivant et grouillant, à l’opposé de l’univers froid et épuré où évoluent les chefs d’André Masson : ces hommes aux allures de PDG qui pourraient tout aussi bien vendre des assurances ou des micro-ondes, semble dire le film. Dans une ambiance décontractée, grâce à la prévenance des employées de l’hôtel des ventes, la stagiaire réussit même à s’offrir un magnifique manteau pour 150 €. Des bonnes affaires à Drouot ? Ce n’est pas que du cinéma !

 


à voir
Le Tableau volé, de Pascal Bonitzer, 91 min, avec Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzawi, Louise Chevillotte, Arcadi Radeff, Laurence Côte, Oliver Rabourdin, Alain Chamfort…
En salle le 1er mai 2024.